[Totalitarisme], nom masculin : « Système politique dans lequel l’État, au nom d’une idéologie, exerce une mainmise sur la totalité des activités individuelles » (Dictionnaire Larousse). Comment un pays peut-il sombrer ?
D’abord il y a des à-coups réguliers et constants, parfois presque imperceptibles. Puis, à la faveur d’un Evénement qui laisse sous le choc – un attentat par exemple et la « guerre contre le terrorisme » lancée « en réponse » – ceux qui ont le pouvoir d’imposer des changements en profitent pour attaquer sur tous les fronts. Tout va alors très vite. Il s’agit d’accélérer le mouvement, de ne pas laisser de répit, de cultiver cette sidération et l’entretenir. Dans une séquence intense, il faut frapper de façon spectaculaire. Jusqu’au vertige et à la nausée qui l’accompagne. Et ainsi, l’effrayante menace se concrétise et devient réalité. En France comme ailleurs.
Déjà sidérés, on se retrouve stupéfaits, ébahis, épuisés, interdits. Les mots finissent par manquer.
Face aux représentants politiques (de droite et de gauche) de régimes « libres » s’attaquant à absolument toutes les libertés, tous les droits durement acquis disant en même temps les défendre. Utilisant la répression policière et militaire pour s’imposer.
Face à des présidents, ministres et représentants de gouvernements « démocratiques » qui diffusent chaque jour et via tous les canaux des informations mensongères, menacent la liberté d’informer, prétendent définir ce qu’est être journaliste et en même temps émettent des lois contre les « fake news ».
Face à des ministres et porte-parole de gouvernements qui imposent des idées et concepts sans les définir et menacent de poursuites ceux qui les utiliseraient ou ne les utiliseraient pas, selon les cas de figure. Qui donnent la parole à des « intellectuels et experts » dont l’inconsistance du travail et l’idéologie a été maintes fois démontrée.
Des secrétaires d’Etat qui refusent toute question, sous peine de lancer des poursuites.
Face à un ministre de l’Intérieur accusé de viol et une secrétaire d’Etat féministe qui prétendent défendre les libertés des filles et des femmes, tout en les restreignant.
A des femmes et hommes politiques qui violent les lois, votent celles qui les arrangent et se protègent entre eux mais accusent les couches les plus basses de la société de tous les maux.
A un gouvernement qui revendique avoir mis tous les moyens pour lutter contre une crise sanitaire inédite, tout en réduisant les budgets.
A des patrons de médias présents dans tous les espaces dans lesquels il est possible de s’exprimer mais qui se plaignent de ne rien pouvoir dire.
A des journalistes et universitaires qui martèlent que la liberté d’expression est sacrée mais à condition qu’elle ne s’applique qu’à eux et à celles et ceux pensant comme eux. Qui hurlent à la censure pour mieux limiter la pensée et la réflexion à une arrangeante (et dangereuse) binarité.
A des professeurs « de gauche » qui dénoncent des enfants (arabes, musulmans, noirs, roms aujourd’hui ; juifs hier) à leur hiérarchie, qui finit par alerter la justice « parce qu’ils en ont reçu l’ordre ».
A des policiers qui perquisitionnent à l’aube des domiciles et embarquent des enfants pour les placer en garde à vue (arabes, musulmans, noirs, roms aujourd’hui ; juifs hier).
A des milliardaires aidés par l’État mais qui prétendent envier les pauvres qu’ils accusent d’être assistés pour mieux les diviser…
Aux représentants de la septième puissance mondiale qui regardent une grande partie de la population souffrir de la faim et de formes de précarité qu’on croirait réservées à un pays pauvre.
Bref, face à des groupes dominants se disant persécutés par des individus dominés, écrasés, silenciés qui prétendent se défendre alors que ce sont en fait eux qui font la guerre.
Enfin, face à un président de la République élu grâce à un matraquage médiatique, un fort taux d’abstention et un chantage au barrage contre l’extrême droite qui finit par appliquer une politique qui n’aurait pas été autorisée à l’extrême droite. Comme prévu.
Tout cela dans « le pays des droits de l’Homme » élu au Conseil des droits de l’Homme à l’ONU bien qu’il prévenait dès 2015 qu’il ne respecterait pas les droits humains dans le cadre de l’état d’urgence, malgré plusieurs condamnations et une stupéfiante ligne politique à l’international.
Un pays dans le Top 5 des plus gros vendeurs d’armes au monde qui organise des conférences sur la paix, sans vouloir rendre des comptes pour ses guerres passées ou en cours et leurs conséquences destructrices sur des pays entiers.
Un pays qui pour être élu à l’ONU, n’hésite pas à se présenter comme garant de la protection des minorités de tous genres dans les autres pays, en appliquant en même temps une politique qui opprime les siennes.
Communication officielle du gouvernement français pour « La journée des filles ». En France, une loi a été votée en 2004 interdisant le port du voile aux jeunes filles dans leur établissement scolaire. Il existe des projets de loi contre le port du voile à l’université ou d’autres espaces. Jusqu’à l’interdiction dans l’espace public ?
Les mensonges sont ahurissants, les menaces ne planent plus mais s’affirment, la disparition progressive des droits annonce le pire… jusqu’à ce ne plus avoir le droit d’avoir des droits ?
La liste des violences réelles et symboliques actuelles en France est longue. Le point de non-retour semble atteint. Et l’histoire l’enseigne : les pays qui se croient immunisés – comme la France – sont justement les plus susceptibles de basculer de façon potentiellement irréversible. Au grand dam des franges les plus fragilisées et minorisées de la population, puis à peu près toute la population.
Pour illustrer tout cela, [Ehko] vous propose de [re]découvrir des extraits de l’oeuvre majeure et visionnaire de Georges Orwell, 1984. Parce que « les meilleurs livres sont ceux qui racontent ce que l’on sait déjà ».
« LA GUERRE C’EST LA PAIX »
« LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE »
« L’IGNORANCE C’EST LA FORCE »
Ces trois slogans célèbres sont issus du livre du journaliste, publié en 1949 (éditions Secker and Warburg).
Employé au « ministère de la Vérité », Winston Smith, le héros du roman dystopique, réécrit les informations publiées dans le journal Times, détruit les anciennes versions, pour que les faits arrivés ne contredisent pas les annonces ou prévisions du Parti.
Winston écrit aussi dans un journal intime, ce qui est interdit ; réfléchit, ce qui est interdit ; se pose des questions sur le pouvoir en place, ce qui est interdit ; veut rencontrer des personnes et réfléchir avec elles, ce qui est tout aussi interdit. Et il s’interroge sur son travail, le Parti, la marche du monde, de son monde, de sa société qui s’enfonce dans le totalitarisme sans que certains s’en aperçoivent.
« Big brother vous surveille » et il surveille tout : discussions, idées, rassemblements, manifestations… Jusqu’aux pensées les plus privées et relations les plus intimes. Tout est devenu illégal, subversif, jusqu’au simple fait de vouloir vivre.
« Il y avait la vérité, il y avait le mensonge, et si l’on s’accrochait à la vérité, même contre le monde entier, on n’était pas fou. » Parce que dans un monde où les valeurs humaines se perdent, où « le Mal » est érigé à la place du « Bien » et vice-versa, le mensonge en vérité, la vérité en mensonge, il est difficile de ne pas sombrer. Extraits choisis de ce livre.
« La Révolution sera complète quand le langage sera parfait »
« – Comment va le dictionnaire ? demanda Winston […]
-La onzième édition est l’édition définitive […]. Nous donnons au novlangue sa forme finale, celle qu’il aura quand personne ne parlera plus une autre langue. Quand nous aurons terminé, les gens comme vous devront le réapprendre entièrement. Vous croyez que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots […]. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. […]
C’est une belle chose, la destruction des mots. […] Il y a des centaines de noms dont on peut se débarrasser. […] En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. […]
Savez-vous que le novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ?
[…] Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer.
[…] Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de l’ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite [les auteurs] seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient jusque-là. Même la littérature du Parti changera. Même les slogans changeront. Comment pourrait-il y avoir une devise comme »La liberté c’est l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été aboli ? Le climat total de la pensée sera autre. »
« Le passé était raturé, la rature oubliée et le mensonge devenait vérité »
« Le Parti disait que l’Océania n’avait jamais été l’alliée de l’Eurasia. Lui, Winston Smith, savait que l’Océania avait été l’alliée de l’Eurasia […]. Mais où existait cette connaissance ? Uniquement dans sa propre conscience qui, dans tous les cas, serait bientôt anéantie.
Si tous les autres acceptaient le mensonge imposé par le Parti – si tous les rapports racontaient la même chose –, le mensonge passait dans l’histoire et devenait vérité. »Celui qui a le contrôle du passé, disait le slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. »
Et cependant le passé, bien que par nature susceptible d’être modifié, n’avait jamais été retouché. La vérité actuelle, quelle qu’elle fût, était vraie […]. Ce qu’il fallait à chacun, c’était avoir en mémoire une interminable série de victoires. Cela s’appelait »Contrôle de la Réalité ». On disait en novlangue double pensée.
On efface cette connaissance, et ainsi de suite indéfiniment, avec le mensonge toujours en avance d’un bond sur la vérité. […] Le mensonge choisi passerait ensuite aux archives et deviendrait vérité permanente. »
« S’il y avait un espoir, il devait se trouver chez les prolétaires »
« Dans ces fourmillantes masses dédaignées, 80% de la population […], pourrait naître la force qui détruirait le Parti.
[…]
Mais les prolétaires n’auraient pas besoin de conspirer, si seulement ils pouvaient, d’une façon ou d’une autre, prendre conscience de leur propre force. […] S’ils le voulaient, ils pouvaient dès le lendemain souffler sur le Parti et le mettre en pièces. Sûrement, tôt ou tard, il leur viendrait à l’idée de le faire ?
[…] Ils ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients qu’après s’être révoltés. […] Le Parti prétendait, naturellement, avoir délivré les prolétaires de l’esclavage. […] Mais en même temps que ces déclarations, en vertu des principes de la double-pensée, le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux, par l’application de quelques règles simples.
En réalité, on savait peu de chose des prolétaires. Il n’était pas nécessaire d’en savoir beaucoup. Aussi longtemps qu’ils continueraient à travailler et à engendrer, leurs autres activités seraient sans importance. […] Le travail physique épuisant, le souci de la maison et des enfants, les querelles mesquines entre voisins, les films, le football, la bière et, surtout, le jeu, formaient tout leur horizon et comblaient leurs esprits. Les garder sous contrôle n’était pas difficile.
Quelques agents de la Police de la Pensée circulaient constamment parmi eux, répandaient de fausses rumeurs, notaient et éliminaient les quelques individus qui étaient susceptibles de devenir dangereux. On n’essayait pourtant pas de les endoctriner avec l’idéologie du Parti. Il n’était pas désirable que les prolétaires puissent avoir des sentiments politiques profonds. Tout ce qu’on leur demandait, c’était un patriotisme primitif […]. Ainsi, même quand ils se fâchaient, comme ils le faisaient parfois, leur mécontentement ne menait nulle part car il n’était pas soutenu par des idées générales. Ils ne pouvaient le concentrer que sur des griefs personnels et sans importance. Les maux plus grands échappaient invariablement à leur attention […]. »
Manuel de pensée du Parti
« THÉORIE ET PRATIQUE DU COLLECTIVISME OLIGARCHIQUE par Emmanuel Goldstein
CHAPITRE I L’IGNORANCE C’EST LA FORCE
Au cours des époques historiques, et probablement depuis la fin de l’âge néolithique, il y eut dans le monde trois classes : la classe supérieure, la classe moyenne, la classe inférieure. Elles ont été subdivisées de beaucoup de façons […] mais la structure essentielle de la société n’a jamais varié. Même après d’énormes poussées et des changements apparemment irrévocables, la même structure s’est toujours rétablie […]. Les buts de ces trois groupes sont absolument inconciliables. […]
CHAPITRE III LA GUERRE C’EST LA PAIX La division du monde [s’était faite] en trois grands États principaux […]. Groupés d’une façon ou d’une autre, ces trois super-États sont en guerre d’une façon permanente […]. La guerre, cependant, n’est plus la lutte désespérée jusqu’à l’anéantissement qu’elle était dans les premières décennies du vingtième siècle. C’est une lutte dont les buts sont limités, entre combattants incapables de se détruire l’un l’autre, qui n’ont pas de raison matérielle de se battre et ne sont divisés par aucune différence idéologique véritable.
Cela ne veut pas dire que la conduite de la guerre ou l’attitude dominante en face d’elle soit moins sanguinaire ou plus chevaleresque. Au contraire, l’hystérie guerrière est continue et universelle dans tous les pays, et le viol, le pillage, le meurtre d’enfants, la mise en esclavage des populations […] sont considérés comme normaux. Commis par des partisans et non par l’ennemi, ce sont des actes méritoires. Mais, dans un sens matériel, la guerre engage un très petit nombre de gens qui sont surtout des spécialistes très entraînés et, comparativement, cause peu de morts […]. L’ordre d’importance des raisons pour lesquelles la guerre est engagée a changé. Des motifs qui existaient déjà, mais dans une faible mesure, lors des grandes guerres du début du XXe siècle, sont maintenant devenus essentiels. […] C’est toujours la même guerre, on doit réaliser d’abord, qu’il est impossible qu’elle soit décisive. Aucun des trois super-États ne pourrait être définitivement conquis, même par les deux autres.
[…] Avec l’établissement des économies intérieures dans lesquelles la production et la consommation sont engrenées l’une dans l’autre, la lutte pour les marchés, qui était l’une des principales causes des guerres antérieures, a disparu. […]
Tous les territoires disputés contiennent des minéraux de valeur […]. Mais ils contiennent surtout une réserve inépuisable de main-d’œuvre à bon marché. […] Les habitants de ces pays, réduits plus ou moins ouvertement à l’état d’esclaves, passent continuellement d’un conquérant à un autre. Ils sont employés […] à produire plus d’armes, à s’emparer de plus de territoires et à posséder une plus grande puissance de main-d’œuvre pour produire plus d’armes, pour s’emparer de plus de territoires, et ainsi de suite indéfiniment. […]
Lorsqu’on livre une guerre, c’est toujours pour être en meilleure position pour livrer une autre guerre. Par leur travail, les populations esclaves permettent de hâter la marche de l’éternelle guerre.
[…]
Le but primordial de la guerre moderne […] est de consommer entièrement les produits de la machine sans élever le niveau général de la vie. »
« Le pouvoir pour le pouvoir »
« Le Parti recherche le pouvoir pour le pouvoir, exclusivement pour le pouvoir. Le bien des autres ne l’intéresse pas. Il ne recherche ni la richesse, ni le luxe, ni une longue vie, ni le bonheur. Il ne recherche que le pouvoir. Le pur pouvoir. Ce que signifie pouvoir pur, vous le comprendrez tout de suite. Nous différons de toutes les oligarchies du passé en ce que nous savons ce que nous voulons. Toutes les autres, même celles qui nous ressemblent, étaient des poltronnes et des hypocrites. Les nazis germains et les communistes russes se rapprochent beaucoup de nous par leur méthode, mais ils n’eurent jamais le courage de reconnaître leurs propres motifs. Ils prétendaient, peut-être même le croyaient-ils, ne s’être emparés du pouvoir qu’à contrecœur, et seulement pour une durée limitée, et que, passé le point critique, il y aurait tout de suite un paradis où les hommes seraient libres et égaux. Nous ne sommes pas ainsi. Nous savons que jamais personne ne s’empare du pouvoir avec l’intention d’y renoncer. Le pouvoir n’est pas un moyen, il est une fin. On n’établit pas une dictature pour sauvegarder une révolution. On fait une révolution pour établir une dictature. »
« Le monde est, dans son ensemble, plus primitif aujourd’hui »
« Dès le moment de la parution de la première machine, il fut évident, pour tous les gens qui réfléchissaient, que la nécessité du travail de l’homme et, en conséquence, dans une grande mesure, de l’inégalité humaine, avait disparu. Si la machine était délibérément employée dans ce but, la faim, le surmenage, la malpropreté, l’ignorance et la maladie pourraient être éliminées après quelques générations. En effet, alors qu’elle n’était pas employée dans cette intention, la machine, en produisant des richesses qu’il était parfois impossible de distribuer, éleva réellement de beaucoup, par une sorte de processus automatique, le niveau moyen de vie des humains […]. Mais il était aussi évident qu’un accroissement général de la richesse menaçait d’amener la destruction […] d’une société hiérarchisée.
[…] Si tous, en effet, jouissaient de la même façon de loisirs et de sécurité, la grande masse d’êtres humains qui est normalement abrutie par la pauvreté pourrait s’instruire et apprendre à réfléchir par elle-même, elle s’apercevrait alors tôt ou tard que la minorité privilégiée n’a aucune raison d’être, et la balaierait. En résumé, une société hiérarchisée n’était possible que sur la base de la pauvreté et de l’ignorance.
[…]
Le problème était de faire tourner les roues de l’industrie sans accroître la richesse réelle du monde. Des marchandises devaient être produites, mais non distribuées. En pratique, le seul moyen d’y arriver était de faire continuellement la guerre. »
« En devenant continuelle la guerre a changé de caractère fondamental »
« Comme d’habitude, les groupes directeurs des trois puissances sont, et en même temps ne sont pas, au courant de ce qu’ils font. Leur vie est consacrée à la conquête du monde, mais ils savent aussi qu’il est nécessaire que la guerre continue indéfiniment et sans victoire. Pendant ce temps, le fait qu’il n’y ait aucun danger de conquête rend possible la négation de la réalité […].
Anciennement, une guerre, par définition presque, était quelque chose qui, tôt ou tard prenait fin, d’habitude par une victoire ou une défaite décisive. Anciennement aussi, la guerre était un des principaux instruments par lesquels les sociétés humaines étaient maintenues en contact avec la réalité physique. Tous les chefs, à toutes les époques, ont essayé d’imposer à leurs adeptes une fausse vue du monde, mais ils ne pouvaient se permettre d’encourager aucune illusion qui tendrait à diminuer l’efficacité militaire. Aussi longtemps que la défaite signifiait perte de l’indépendance ou quelque autre résultat généralement tenu pour indésirable, les précautions contre la défaite devaient être sérieuses. Les faits matériels ne devaient pas être ignorés. […] Les nations inefficientes sont toujours tôt ou tard conquises et la lutte pour l’efficience est ennemie des illusions.
De plus, il est nécessaire, pour être efficient, d’être capable de recevoir les leçons du passé, ce qui signifiait avoir une idée absolument précise des événements du passé. Journaux et livres d’histoire étaient naturellement toujours enjolivés et influencés mais le genre de falsification actuellement pratiqué aurait été impossible. […] Peuvent être pratiquées, en toute sécurité, presque toutes les perversions de la pensée. »
« La guerre, c’est la Paix »
« Anciennement, les groupes dirigeants de tous les pays […] luttaient réellement les uns contre les autres, et celui qui était victorieux pillait toujours le vaincu. De nos jours, ils ne luttent pas du tout les uns contre les autres. La guerre est engagée par chaque groupe dirigeant contre ses propres sujets et l’objet de la guerre n’est pas de faire ou d’empêcher des conquêtes de territoires, mais de maintenir intacte la structure de la société. Le mot « guerre », lui-même, est devenu erroné. Il serait probablement plus exact de dire qu’en devenant continue, la guerre a cessé d’exister.
[…] L’effet aurait été exactement le même si les trois super-États, au lieu de se battre l’un contre l’autre, s’entendaient pour vivre dans une paix perpétuelle […]. Une paix qui serait vraiment permanente serait exactement comme une guerre permanente. Cela, bien que la majorité des membres du Parti ne le comprenne que dans un sens superficiel, est la signification profonde du slogan du Parti : La guerre, c’est la Paix. »
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« La condition mentale dominante doit être la folie dirigée »
L’idéologie officielle abonde en contradictions […]. Ainsi, le Parti rejette et diffame tous les principes qui furent à l’origine du mouvement socialiste, mais il prétend agir ainsi au nom du socialisme. […] Les noms mêmes des quatre ministères qui nous dirigent font ressortir une sorte d’impudence dans le renversement délibéré des faits.
Le ministère de la Paix s’occupe de la guerre, celui de la Vérité, des mensonges, celui de l’Amour, de la torture, celui de l’Abondance, de la famine. Ces contradictions ne sont pas accidentelles, elles ne résultent pas non plus d’une hypocrisie ordinaire, elles sont des exercices délibérés de doublepensée.
Ce n’est en effet qu’en conciliant des contraires que le pouvoir peut être indéfiniment retenu. L’ancien cycle ne pouvait être brisé d’aucune autre façon. Pour que l’égalité humaine soit à jamais écartée, pour que les grands, comme nous les avons appelés, gardent perpétuellement leurs places, la condition mentale dominante doit être la folie dirigée.
Mais il y a une question que nous avons jusqu’ici presque ignorée. Pourquoi l’égalité humaine doit-elle être évitée ? »
En conclusion, « l’espoir »…
« Winston pensa qu’il était étrange que tout le monde partageât le même ciel […]. Et les gens qui vivaient sous le ciel étaient tous semblables. C’était partout, dans le monde entier, des centaines ou des milliers de millions de gens s’ignorant les uns les autres, séparés par des murs de haine et de mensonges, et cependant presque exactement les mêmes, des gens qui n’avaient jamais appris à penser, mais qui emmagasinaient dans leurs cœurs, leurs ventres et leurs muscles, la force qui, un jour, bouleverserait le monde. »
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Illustration : Crédit inconnu.