[Peter Beinart en est resté très étonné]. Un peu amusé aussi. Ce journaliste juif américain s’est vu cet été, lors d’un voyage en Israël, retenu et interrogé à l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv. Cet intellectuel très respecté de la diaspora juive libérale américaine raconte avoir été « détenu et interrogé sur [ses] activités politiques » par un agent du Shin Beth, le service de sécurité intérieure israélien. Le journaliste répondra soutenir « les organisations israéliennes qui utilisent la non-violence pour défendre la démocratie israélienne ». Il note également, de façon très américaine, que son interrogateur n’a jamais justifié par une base légale sa détention. Une loi adoptée en mars 2017 autorise en effet Israël à interdire l’accès aux personnes qui préconisent le boycott d’Israël ou des colonies israéliennes en Cisjordanie – ce qui, pour ce dernier cas, concerne Beinart.
Fait exceptionnel, aussitôt après que le journaliste a diffusé son histoire, un communiqué officiel des services du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou alléguera « une erreur administrative », précisant que « Israël est une société ouverte qui accueille aussi bien ceux qui le critiquent que ceux qui le soutiennent ». Réaction de Beinart via son compte Twitter : « J’accepterai ses excuses lorsqu’il s’excusera auprès de tous les Palestiniens et des Palestino-Américains qui endurent chaque jour des choses bien pires ».
D’autres en effet ont été moins chanceux que le célèbre journaliste. L’historien irano-américain Reza Aslan sera même « menacé ». Simone Zimmerman, cofondatrice du groupe progressiste juif américain « IfNotNow », lequel s’oppose à l’occupation israélienne ou encore l’écrivain Moriel Rothman-Zecher seront aussi «interrogés». La militante pro BDS Ariel Gold s’est vue, quant à elle, interdire l’entrée en Israël.
Mais c’est surtout la mésaventure arrivée à Beinart qui a secoué autant la communauté juive américaine que les autorités israéliennes, où un vent de panique a semblé souffler. Selon le Time of Israël, Isaac Herzog, ancien chef de l’opposition et désormais président de l’Agence Juive, a déclaré « Malheureusement, les dégâts à la réputation d’Israël et des protestations inutiles parmi les juifs de diaspora ont été causés pour rien ». Le groupe libéral juif « J Street », par la voix de sa directrice Yael Patir a averti que « si le gouvernement israélien veut des liens avec l’écrasante majorité des juifs américains, et préserver la démocratie israélienne, les interrogatoires politiques doivent cesser immédiatement ».
Ces incidents pourraient paraître comme l’écume d’une actualité autrement plus cruelle ou grave dans cette région du monde. Pourtant, ils disent quelque chose d’une relation essentielle à Israël, celle liée à sa « périphérie » diasporique, surtout américaine et des tensions que cette relation particulière rencontre désormais.
Le centre et la périphérie, Ha’aretz et hutz la’aretz
Dès la création de l’Etat d’Israël, la question des relations entre Israël et les juifs du monde entier, la diaspora (mot qui signifie dispersion) avait été posée. David Ben Gourion, la même année que l’adoption de la Loi du Retour (loi qui permet à tout juif de faire son Alya, ou « montée », c’est-à-dire de prétendre à la citoyenneté israélienne), avait posé le principe des relations entre Israël et sa diaspora, particulièrement américaine. Il écrivait dès 1950 que « Les juifs des Etats-Unis […] ne doivent aucune allégeance politique à Israël. Israël n’a aucun désir et aucune intention d’interférer de quelque manière que ce soit avec les affaires intérieures des communautés juives à l’étranger. Le gouvernement et le peuple israéliens respectent pleinement le droit et l’intégrité des communautés juives d’autres pays à développer leurs institutions sociales, économiques et culturelles autochtones en fonction de leurs propres besoins et aspirations ».
Pourtant, la création de l’Etat d’Israël a pu être perçue par les juifs du monde entier comme la réalisation d’un rêve vieux de 2 000 ans. Idéologie sioniste séculaire et herméneutique biblique messianique ont fini par se croiser, s’emmêler, se confondre. L’idéal était de réaliser le vieux rêve biblique de « kibboutz galuyot » ou rassemblement des exilés qui avait revêtu les apparats nationalistes modernes de l’émigration sioniste.
Très vite, le sionisme a fait d’Israël le centre du monde juif. Le mot hébreu pour parler d’Israël, « Ha’aretz » (Le Pays), découle directement du vocabulaire religieux. De même, le terme hébreu « Hutz la’aretz », littéralement « en-dehors du Pays », désigne tout lieu situé à l’étranger où vivent les juifs pas encore « rassemblés » en Ha’aretz. L’expérience diasporique, et sa riche histoire, a vite été perçue par l’imaginaire sioniste comme une « anomalie ». Anomalie que l’existence de l’Etat israélien serait venue corriger. Cette attitude a pris le nom de «shlilat ha’galut» ou négation de la diaspora.
Un rapport double centre-périphérie est né ainsi qui se matérialise organiquement par des institutions telles le Congrès Juif Mondial, l’Agence juive, l’Organisation sioniste mondiale et The American Jewish Joint Distribution Committee ou aux Etats-Unis par l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). Cette relation concerne surtout la communauté juive américaine, première communauté juive hors Israël et vivant au cœur même de la première puissance mondiale. S’est créée une dynamique contemporaine entre ces deux pôles, qui regroupent presque 80% du judaïsme mondial à eux seuls. Pour utiliser une métaphore biblique, cette relation ressemble à celle qui a pu exister entre Jérusalem et Babylone, après le chute du premier Temple et l’exil de l’élite judéenne au cœur de l’Empire chaldéen.
La Loi fondamentale sur l’Etat juif, une autre pierre d’achoppement
L’adoption de la loi fondamentale sur l’Etat juif le 19 juillet 2018 semble avoir été le point culminant d’une tension lente entre Israël et sa diaspora. Ce texte définit Israël comme le « foyer national du peuple juif » dans le sens où elle accorde aux seuls juifs le droit à l’autodétermination dans l’Etat d’Israël. Elle définit Jérusalem comme « capitale complète et unie » du pays. La langue arabe n’est plus langue d’Etat, mais se voit reléguer à un « statut spécial » indéfini. Le texte établit aussi que l’Etat israélien doit s’assurer de « la sécurité des membres du peuple juif en danger ou en captivité en raison de leur judaïté ou de leur citoyenneté » et « renforcer les affinités » entre l’Etat et la diaspora, notamment à travers l’héritage culturel, historique et religieux du peuple juif considéré comme une unité tout à la fois passé, actuelle et en devenir.
Cette loi avait déclenché remous et inquiétudes au sein d’Israël, notamment dans la minorité arabe et druze. Mais elle a tout autant inquiété en dehors d’Israël, dans cette diaspora.
Ronald S. Lauder est depuis 2009 le président du World Jewish Congress (WJC) ou Congrès Juif Mondial. Fédération internationale de communautés et d’organisations juives, le WJC se présente dans sa charte comme le « bras diplomatique du peuple juif ». Soutien indéfectible à l’Etat d’Israël, le WJC, par l’intermédiaire de son président, a pourtant publié une tribune ouvertement inquiète. Lauder avertit : « La question en jeu est avant tout morale, mais la nouvelle législation de l’Etat-nation peut aussi avoir de graves répercussions sur le plan national et international. En Israël, cela accentuera le sentiment de polarisation et de discorde. À l’étranger, Israël peut se trouver associé à un système de valeurs brisées et à des amis discutables. En conséquence, les futurs dirigeants occidentaux pourraient devenir hostiles ou indifférents à l’État juif […]. Tragiquement, les nouvelles politiques ne renforceront pas Israël mais l’affaibliront et, à long terme, elles pourraient mettre en danger la cohésion sociale, le succès économique et la réputation internationale d’Israël ».
Même l’Anti-defamation League (ADL), a averti solennellement Netanyahou que « des éléments du projet de loi sont susceptibles de miner le caractère démocratique d’Israël, d’exacerber les relations entre juifs israéliens et arabes israéliens et entre Israël et les juifs de la diaspora ». Selon cette organisation dont le but est de soutenir les juifs contre toute forme d’antisémitisme et de discrimination, des éléments problématiques pourraient amener certains à s’interroger sur « l’engagement d’Israël envers le pluralisme ».
The American Jewish Committee, Comité juif américain, qui s’est donné pour but de regrouper toutes les composantes juives américaines pour défendre le droit des juifs du monde entier, s’est dit « profondément déçu ». Il regrette les dispositions concernant la langue arabe et le développement de la colonisation juive considérée désormais comme une valeur nationale.
Orthodoxie israélienne versus libéralisme diasporique
Le sionisme américain est le produit d’une époque particulière, avec pour point focal la guerre de 1967, puis celle de 1973, qui ont, aux yeux de nombreux juifs américains, frôlé la dimension « holocaustique ». Israël est devenu une part consubstantielle de l’identité juive. L’imaginaire biblique là encore a joué sa part, David contre Goliath, complexe obsidional de Massada, pays de lait et de miel, innocence ontologique d’Israël.
Mais divers actes des autorités israéliennes ont ombré cette relation, pourtant censée être solide, d’une peur du schisme. Jusqu’à faire craindre que la dialectique du centre et de la périphérie, rassemblement-exil, ne décrive plus la réalité vécue par la majorité des juifs du monde. Voire que cette relation ne se rompe pour créer deux pôles rivaux.
Les premiers désaccords ont porté sur le plan de prière du Mur occidental ou Mur des Lamentations. Broutille religieuse a priori mais qui empoisonne sérieusement les relations entre le judaïsme israélien, orthodoxe, et celui américain, plus libéral. Le grand rabbinat israélien, qui contrôle la politique religieuse au Kotel ou Mur occidental, s’est toujours opposé à ce que des femmes mènent la prière. Depuis 1988, des femmes juives de différents pays de l’organisation «Women of the Wall», ont tenté de mener des prières au Kotel (le Mur) et ont été régulièrement agressées par des ultra-orthodoxes. Après des années de tensions, le procureur général d’Israël avait soutenu les femmes du mur et leurs prétentions à un espace égalitaire au Kotel. Un accord semblait proche en 2016 mais Netanyahou avait reculé devant la pression intense des courants ultra-orthodoxes, parties intégrantes de sa coalition au pouvoir.
Autre point de tension, la question de savoir qui est juif et celle sous-jacente de la conversion. Les sondages les plus récents sur les juifs américains estiment qu’environ 35% appartiennent au judaïsme réformé, 18% de conservateurs, 10% d’orthodoxes (modernes et ultra-orthodoxes), 30% sont laïques et 6% de petites dénominations. En Israël, les affaires religieuses telles que l’envisage le grand rabbinat orthodoxe suppose l’application rigoureuse, voire pointilleuse, des règles de la Halakha ou loi juive. Parmi les points religieux régis par cette organisation, les statuts familiaux et personnels, donc la filiation et la question de savoir qui est reconnu juif et qui ne l’est pas. Or, aux Etats-Unis, la grande majorité des juifs appartient à un courant dit « réformés » ou « conservateurs ». Le judaïsme israélien observe d’un œil méfiant les règles plus souples adoptées par des rabbins américains pour ce qui concerne la filiation, la conversion et l’explosion des mariages mixtes qui prévalent dans le judaïsme américain. Les tenants de ce judaïsme s’inquiètent de voir peut-être refuser la qualité de « juif » à certains de leurs membres au nom d’une lecture stricte de la Halakha, jusqu’à se demander si certains juifs américains ou leurs descendants pourront toujours bénéficier de la « Loi du Retour ». Lorsque le judaïsme orthodoxe d’Israël a voulu délégitimer les mouvements réformés et conservateurs, notamment à propos des conversions, les dirigeants juifs américains ont considéré cette décision comme une attaque contre leur identité religieuse et culturelle sui generis, singulière et diasporique.
D’autres désaccords émergent, notamment le traitement des demandeurs d’asile africains en Israël. Les juifs américains ont une histoire intimement liée à l’exode dû aux persécutions en Europe, à la lutte et reconnaissance des droits civiques et à la protection des minorités raciales. Une histoire qui les rend sensibles et attentifs à ces questions porteuses de cette mémoire vive, quand les portes de l’immigration américaine furent aussi partiellement fermées aux juifs d’Europe fuyant l’Europe antisémite. Dès lors, la politique menée par Donald Trump aux Etats-Unis – centres de détention, séparation des enfants et des parents – préoccupe tout autant les juifs américains que celle menée par les autorités israéliennes.
Même Naftali Bennet, ministre israélien de la Diaspora et leader du parti nationaliste religieux Foyer juif, fait ce constat : « Les Israéliens tendent vers la droite et vers un judaïsme plus traditionnel, alors que la communauté juive aux Etats-Unis tend vers la gauche et elle est plus libérale ». C’est encore Lauder, dans sa tribune, qui pose l’avertissement le plus solennel : « N’oublions pas : la grande majorité des juifs du monde ne s’identifient pas comme orthodoxes. Ils sont traditionnels, laïques, conservateurs, réformés ou complètement non affiliés. L’orthodoxie doit être respectée, mais nous ne pouvons pas permettre que la politique d’une minorité radicale aliène des millions de juifs dans le monde ». Comme le note Beinart « En particulier dans les jeunes générations, de moins en moins de libéraux juifs américains sont sionistes ; de moins en moins de sionistes juifs américains sont libéraux ».
L’occupation qui divise
Toujours selon Beinart, les principales institutions de la communauté juive américaines ont toujours refusé de critiquer ouvertement le comportement d’Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et envers ses propres citoyens arabes. Les organisations juives américaines dominantes continuent à avoir une vision libérale du sionisme. Sur son site internet, l’AIPAC célèbre l’engagement d’Israël envers la « liberté d’expression et les droits des minorités » . Pourtant au sein même de la coalition de Netanyahou, certains prétendent que les Arabes israéliens ne méritent pas la pleine citoyenneté et que les droits humains ne s’appliquent pas aux Palestiniens de Cisjordanie.
Ce hiatus est de plus en plus perceptible dans la communauté juive américaine, surtout parmi la jeune génération. En défendant pratiquement tout ce que fait le gouvernement israélien, les dirigeants des organisations juives américaines se font les garants moraux pour des dirigeants israéliens qui menacent les valeurs très libérales qu’ils prétendent admirer.
Ces juifs américains sont venus au sionisme avant que le mouvement des colons organise toute la vie de la politique israélienne, avant que la théologie de l’occupation et le messianisme devienne le prisme déformant israélien. Un véritable numéro d’équilibriste pour eux, entre la défense d’Israël et la réalité d’une occupation de tout un peuple. In fine, c’est tout un récit mythique sioniste autour d’Israël qui se heurte aux rudes réalités.
Pour Peter Beinart, « Moralement, le sionisme américain est en chute libre. Si les dirigeants de groupes comme l’AIPAC et la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines ne changent pas de cap, ils se réveilleront un jour et trouveront une direction sioniste plus jeune, orthodoxe, dont l’hostilité envers les Arabes et les Palestiniens les effraie même et une masse de juifs américains laïques qui vont de l’apathie à la consternation ».
Plus largement, c’est aussi deux visions du judaïsme qui se devinent en filigrane. Les juifs américains sont une minorité religieuse, dépendante d’une société qui valorise le pluralisme et la diversité. Leurs valeurs puisent dans l’héritage juif entendu comme philosophie humaniste, le tikkun olam (« réparer le monde » ou justice sociale) et le b’tselem Elohim (« à l’image de Dieu ») ou l’idée que tout être humain a une valeur intrinsèque et comme le note Beinart, « Ils ne sont pas émus par les revendications bibliques à la Cisjordanie ». Les juifs israéliens sont une majorité ethnique, façonnée par les privilèges et nécessités du pouvoir. Leur vision de l’héritage juif est plus utilisée comme justification de leurs droits inaliénables sur « Eretz Israël».
Politiquement aussi, le fossé est indéniable. La plupart des juifs américains votent démocrate et sont laïques. Or en 2012, Netanyahou avait officiellement soutenu le président républicain Mitt Romney, alors que près de 70% des juifs américains avaient voté pour Barack Obama. Le soutien indéfectible que Donald Trump et Benjamin Netanyahou s’apportent mutuellement heurte aussi. A la question de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la relocalisation de l’ambassade américaine, selon un sondage de l’AJC 85% des juifs israéliens ont déclaré soutenir cette décision, contre 46% des juifs américains. Le sondage montre aussi que 47% des Juifs américains s’opposaient à cette initiative – mais seulement 7% des Israéliens. Ce sondage posait une double question : « Que pensez-vous du fait que les États-Unis ont déplacé leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem ? , « Que pensez-vous du président Donald Trump ? » La majorité des juifs américains ont répondu à la première question en se basant sur la seconde. Pour les juifs israéliens, ce fut le contraire.
Pour les juifs américains, Trump n’est pas seulement celui qui a permis le transfert de cette ambassade. Il est aussi le premier candidat à avoir été soutenu par le Ku Klux Klan (KKK) ouvertement antisémite. Il est celui qui a refusé de dénoncer le KKK, les néonazis et les nationalistes blancs réunis à Charlottesville en août 2017 pour un rassemblement visant à empêcher qu’une statue de confédéré soit retirée d’un parc. Ces mêmes néonazis avaient défilé devant la synagogue de la congrégation Beth Israel, aux chants de « Sieg Heil » et d’autres cris antisémites. Certains portaient des drapeaux avec des croix gammées et d’autres symboles nazis.
Le Premier ministre israélien a pourtant établi une alliance particulière avec ce même président Trump, dont les partisans les plus enthousiastes dans cette décision ont été les chrétiens évangéliques blancs (qui ont voté à 81% pour lui), sionistes mais tout autant antisémites. En effet, selon leur eschatologie, la « fin des temps » dépend du « rassemblement » de tous les juifs en « Terre Sainte », qui seule permettra la parousie du Christ. Après la bataille finale, les juifs sont censés se convertir au christianisme ou être détruits.
Aux Etats-Unis mais également en Israël, des voix s’inquiètent ouvertement de cette division idéologique croissante entre le gouvernement israélien et la diaspora. Les courbes démographiques de ces deux pôles jouent aussi leur rôle dans cette division. En Israël, le population ultra-orthodoxe connaît un essor certain. Ce poids démographique, le découpage électoral israélien qui fait des petits partis religieux les « faiseurs de roi » – ou du moins de majorité bancale à coup de coalitions hétéroclites – changent le visage d’Israël aux yeux de la diaspora. Surtout celle américaine, libérale, démocrate, séculaire et acquise à une philosophie juive de justice sociale et égalité. Néanmoins même côté américain, parce qu’ils se marient plus tôt et ont plus d’enfants, les juifs orthodoxes croissent rapidement en proportion dans la population juive américaine. C’est dans ce vivier que, selon Beinart, les organisations juives américaines devront puiser pour reconstituer leurs rangs, « Ils devront trouver de jeunes juifs américains qui ont grandi sous l’occupation de la Cisjordanie mais qui n’en sont pas troublés. Et ces jeunes juifs américains viendront de manière disproportionnée du monde orthodoxe ».
Les voix juives contre la politique israélienne
La jeune génération juive américaine considère plus facilement que leurs aînés Israël comme une puissance occupante. Considérez ce qui s’est passé cet été. Comme chaque année, le programme « Birthright » a permis à de jeunes américains juifs de visiter Israël. Un voyage éducatif gratuit de 10 jours en Israël, un des moyens les plus simples pour resserrer les liens. Or cette année, après des mois de troubles à Gaza durant lesquels des soldats israéliens ont tué plus d’une centaine de manifestants palestiniens, le voyage a connu des remous. Certains jeunes ont choisi, avec le soutien du mouvement «IfNotNow», un mouvement visant à mettre fin à l’appui de la communauté juive américaine à l’occupation, de se rendre compte des choses par eux-mêmes. Ils ont participé à une tournée avec «Breaking the Silence», une organisation d’anciens soldats israéliens dont la mission est d’avertir sur les réalités de la vie sous occupation pour les Palestiniens.
«IfNotNow» est un collectif d’activistes en plein essor parmi les juifs américains des générations Y et Z. Ils s’opposent à la politique israélienne envers les Arabes palestiniens de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza. Leurs manifestations publiques ont attiré des milliers de participants à travers les Etats-Unis, et ils mettent l’accent sur les campagnes en ligne qui accusent les institutions juives de leur mentir et de soutenir les injustices contre les Palestiniens. Leur campagne en ligne « You Never Told Me » recueille ainsi les témoignages de jeunes juifs choqués par la réalité de l’occupation. Lors d’une visite à Hébron, ville palestinienne occupée, ils ont pu observer comment l’armée israélienne avait mis en place un système de contrôle pour « protéger » ces colonies. « Selon ce système, il est interdit à des dizaines de milliers de Palestiniens de sortir par leurs portes et dans leurs propres rues, tandis que moins d’un millier de colons israéliens sont libres d’aller où ils veulent. En tant qu’Américain, il était difficile d’éviter les parallèles entre la séparation claire et imposée des populations palestinienne et juive et d’autres atrocités racistes de notre propre histoire, telles que les politiques ségrégationnistes du Sud de l’ère Jim Crow [lois ségrégationnistes des Etats du Sud des Etats-Unis] » commente une jeune juive américaine.
Là encore, c’est peut-être Ronald S. Lauder, qui se fait le plus alarmiste, ou le plus lucide : « Si les tendances actuelles persistent, les jeunes juifs pourraient ne pas accepter une affiliation avec une nation discriminatoire envers les juifs non orthodoxes, les minorités non juives et la communauté LGBT. Ils ne peuvent pas combattre le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions, ils ne peuvent pas soutenir Israël à Washington et ils ne peuvent pas lui fournir le garde arrière stratégique dont Israël a tant besoin ».
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Illustration : Drapeau israélien, domaine public