[Id]ées

Un monde en guerre

L’une des phrases les plus répétées, quand il s’agit de parler de la Seconde guerre mondiale, est « plus jamais ça ». Plus jamais une telle violence, plus jamais une telle haine. De promesse, ce leitmotiv est passé à l’expression galvaudée. Car en 2018 les guerres continuent. Le cycle de violence s’auto-alimente. Celui lancé en 2001 après le 11 septembre par l’administration de Georges W. Bush sur des accusations fallacieuses – la possession d’armes de destruction massive par l’ex-président irakien Saddam Hussein – a engendré l’État islamique.

[L’organisation] est désormais l’ennemi numéro un des pays occidentaux, et des autres. Mais comment cette guerre pourrait-elle se finir alors qu’elle permet d’alimenter les ventes d’armements ? Dans son dernier rapport publié en 2018, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) indiquait : «Les dépenses militaires au Moyen-Orient ont augmenté de 6,2 % en 2017. […] Avec 69,4 milliards de dollars de dépenses, l’Arabie saoudite enregistre la troisième plus forte dépense militaire au monde. » En 2017, ces dépenses étaient plus élevées au Moyen-Orient que dans toute autre région du monde, d’après le rapport, 7 des 10 pays achetant le plus d’armements sont au Proche-Orient.

Déjà, dans son rapport publié en 2017, l’organisation commentait qu’à elle-seule, « la région représentait 29% des importations mondiales d’armes en 2012, ce qui la classait 2e importatrice pour cette période ». Et d’ajouter : « De nombreux pays du Moyen-Orient ont acquis des systèmes militaires sophistiqués susceptibles d’augmenter considérablement leur capacité militaire. Les États-Unis et plusieurs États d’Europe occidentale sont restés les principaux fournisseurs d’armes de la plupart des pays de la région tout au long de la période. »

Ainsi, les conflits armés dans ces pays ont généré un « boom » des ventes – dont les porte-drapeaux de la démocratie et des libertés – France, Royaume-Uni, Etats-Unis bénéficient.

« Qui veut la paix prépare la guerre »

A sa secrétaire d’État à la Défense Catherine Durant, qui évoquait le besoin de calmer la situation pour parvenir à la paix, le président Franck Underwood répondait en substance, avec ironie et mépris : « C’est ça, comme si la paix apportait du profit ». Si la série américaine « House of Cards » (Netflix) est une fiction, elle reflète assez fidèlement ce qu’il peut se passer. Car c’est bien ce dont il est question : les Etats tirent profit des conflits armés et guerres, les « théâtres d’opération » – pour reprendre une expression militaire désormais entrée dans le langage courant – sont la vitrine qui permet de tester et vendre toujours plus d’armements. Et ces situations génèrent toujours plus de désastres : morts et blessés bien sûr, familles décimées, famine, épidémies de maladie, déplacements forcés, etc.

Depuis 2001 et les attentats du 11 septembre, les musulmans et l’islam (deuxième religion au monde) sont présentés comme l’une des principales menaces, voire la principale. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate que ce sont les pays musulmans qui sont les plus touchés par les conflits, le terrorisme et tout ce qu’ils engendrent. Et il suffit d’observer une carte pour constater au premier coup d’oeil que ce sont encore eux qui sont encerclés par de menaçantes bases militaires étrangères, avec des troupes munies des armements les plus performants et prêtes à intervenir.

Ainsi, depuis 2001, aux Etats-Unis et à travers le monde, l’ennemi, c’est « le musulman » (et « la musulmane »). Il l’a été dans le passé, il l’est encore et toujours.

Et la France dans tout ça ? Elle arrive, selon les sources, en seconde ou troisième position des plus gros fournisseurs d’armement au monde. Pourtant, quand le sujet est traité, on entend ou lit presques les cocoricos. L’industrie de l’armement n’est en effet envisagée que sous l’angle du savoir-faire à la française et de son impact sur l’emploi. Or on parle d’une politique qui sème la mort à des milliers de kilomètres et a des répercussions sur le territoire national. Les drames de l’année 2015 sont là pour le rappeler.

Mais qui s’intéressait à l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, son nom à cette époque) quand il ne faisait que des victimes irakien-nes, même si en septembre 2013, il en a fait 979 en un mois selon les observateurs des Nations Unies ?

Renverser les perspectives

Il ne s’agit néanmoins pas d’en déduire que le niveau de violence et de conflits est sans précédent, ni même du niveau de ce qu’a connu le monde au XXe siècle, ce serait faux. Il est plutôt question de s’interroger sur la place laissée à la diplomatie et au dialogue, et aux politiques menées. En France par exemple. L’État français a mené « 126 interventions militaires entre 1962 et 2011 », rappelle le chercheur français Claude Serfati dans Le militaire (éditions Amsterdam, Paris, 2017.)

L’un des objectifs d’Ehko est de renverser les perspectives. Imaginons, sur le modèle des « opérations extérieures françaises » ou « de la présence militaire des soldats français à travers le monde », des militaires chinois, maliens, ouzbeks quadrillant le territoire français ou des bases militaires encerclant la France… Ou encore, imaginons toujours, la Cour pénale internationale jugeant Georges W. Bush et Tony Blair pour l’Irak, Barack Obama pour les drones lancés sur l’Afghanistan et le Yémen, Nicolas Sarkozy pour la guerre en Libye ou encore François Hollande pour les assassinats ciblés, ces exécutions extrajudiciaires qui visent même des Français en Irak et en Syrie et la vente d’armes à l’Egypte et l’Arabie saoudite ?

Mais les faits, les chiffres, n’intéressent pas. Peu importe que les musulmans soient premières victimes, qu’ils sont très loin d’être premiers responsables des attentats en Europe selon Europol ou que la couverture médiatique consacrée aux « attentats commis par des musulmans » est beaucoup plus conséquente. Peu importe tout cela car l’idéologie a pris le dessus. Peu importe que les puissances occidentales tirent profit de ces conflits qu’elles prétendent vouloir pacifier. Peu importe que la définition du « terrorisme » soit fluctuante et que les ennemis d’hier soient les alliés d’aujourd’hui.

Peu importe ? C’est justement ce qui importe à Ehko. Nous reviendrons donc sur tous ces sujets.

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Illustration : Crédit inconnu 

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Journaliste et co-fondatrice du média Ehko.info.

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