[Dé]cryptage

Coronavirus sécuritaire, « Sonder le cœur et les reins »

[La corona-dictature], selon le mot de l’essayiste israélien Yuval Noah Harari, se diffuse dans l’air aussi vite semble-t-il que le virus pathogène. Avec autant de dégâts à terme sur la santé démocratique des pays qui auront pris des mesures d’exception ?

Evidemment, « nous sommes en guerre ». Du moins l’ordre martial semble en marche. Lui aussi. A marche forcée même. Certes, il y a l’aspect sanitaire et prophylactique constitutif de l’ordre public, la force majeure et la nécessité. Mais les mesures prises par les autorités françaises ont tout autant à voir avec des mesures qui répondent à cet état de nécessité qu’à une nécessité de l’Etat de consolider un virage sécuritaire antérieur à cette crise sanitaire. Toute la question est de déterminer si la tension sécuritaire ne s’accompagne pas nécessairement et obligatoirement d’une tentation autoritaire.

Des tas d’urgences sanitaires, une réponse sécuritaire

Bien sûr, il y a ceux qui exagèrent. Ceux qui semblent profiter de cette pandémie, en effet d’aubaine pour leur petite entreprise répressive. Le président philippin Rodrigo Duterte, après avoir placé Manille sous couvre-feu, a ainsi appelé l’armée à « tuer » ceux qui ne respectaient pas les mesures de confinement. Puis il y a le Hongrois Viktor Orban, lequel s’est fait voter les pleins pouvoirs dans le cadre d’un état d’urgence d’une durée indéterminée. Faisant au passage (encore) sourciller l’Europe.

Mais au-delà de ces cas présentés comme « extrêmes », ici et là, des mesures sont prises de façon plus feutrée et sont tout autant l’indice d’un édifice démocratique qui se fissure. L’Etat de droit, qui pose une hiérarchie des normes caractéristique d’un refus de l’Etat schmittien (selon lequel la validité d’une norme n’est conditionnée que par la légitimité de l’autorité qui la prend, peu importe le contenu de cette norme), se trouve détricoté par une Pénélope virale.

Dans leur lutte contre la corona-pandémie, certains pays semblent encore respectueux des formes et des procédures. Ainsi, des Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) ont activé l’article 15 de ladite convention. Cet article prévoit qu’en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, un Etat membre « peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la CEDH ». Désactivation du droit, considéré comme superflu voire handicapant, alors même qu’il devrait être envisagé comme cadre favorisant la maîtrise et la sortie pacifiées de la crise.

Et la France dans tout cela ? Le discours politique a glissé d’une pseudo irresponsabilité des citoyens à leur réelle culpabilisation, les Français admonestés comme des écervelés. Mais comment blâmer les gens à qui on a tenu des discours lénifiants et mensongers ? Par la voix de la ministre de la Santé Agnès Buzyn d’abord, qui s’est rétractée ensuite dans la poussière et la cendre de ses larmes. Puis par celle d’un président qui célébrait une semaine avant le confinement l’art français de la résistance à coup de verres en terrasse. Avant de tancer, en discours paternalistes, ces mêmes concitoyens qui l’avaient pris au mot.

Après la culpabilisation est venue la pénalisation. De Nantes à Rennes ou encore à Paris et Nice, les décisions de nos édiles municipaux s’organisent autour d’une significative utilisation de drones pour faire respecter le confinement. Mieux (ou pire), un hélicoptère doté de caméras détectant toute présence de vie, même la nuit, quadrille désormais le ciel nantais. À Sanary-sur-Mer, dans le Var, le maire a d’abord tenté de limiter les déplacements tout comme les achats « à l’unité », afin de privilégier les achats groupés. Jusqu’à verbaliser qui achetait son pain à l’unité. Dans son désir de pousser loin le contrôle des corps, un arrêté a été pris interdisant la sortie à plus de 10 mètres de chez soi, sauf pour aller faire des courses. Heureusement, l’arrêté a été annulé alors que le tribunal administratif, saisi en référé, devait se prononcer sur sa légalité. Certains territoires d’outre-mer connaissent des couvre-feux quand des quartiers parisiens, tel celui de Château Rouge, sont spécifiquement visés par des mesures encore plus dérogatoires.

Au plan national, le gouvernement s’est livré à une intense action, arguant de l’urgence et de la nécessité. L’état d’urgence sanitaire a été promulgué ce 23 mars par une loi organique ; et avec cet état d’urgence, son cortège de mesures dérogatoires. La Justice, le Travail et l’Espace public ont été les premiers lieux de cette fièvre administrativo-normative.

Le droit du travail est particulièrement visé, en mesures dérogatoires. Selon les décisions prises, des « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale » peuvent « déroger […] aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical » (article 17). Aussi visés, les congés payés dont le délai de prévenance passe de quatre semaines à six jours, ou encore « les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel et notamment du comité social et économique » qui peuvent être modifiées.

La France d’avant le virus, dans la rue contre la loi El Khomry, puis contre une paupérisation jugée croissante et enfin contre une réforme du régime des retraites, en est restée coite. Faut-il alors s’étonner que l’enseigne Franprix a voulu recruter, selon une enquête de Streetpress, au moins 45 personnes avec le statut d’auto-entrepreneurs ? Régime juridique, faut-il le rappeler, bien moins protecteur du salarié que le régime général.

Du côté du confinement, une pénalisation de la présence dans l’espace public s’est installée. Donc du contrôle de cet espace et de la légitimité à s’y trouver ou pas. De la simple mesure d’une justification à avoir sur soi jusqu’à l’établissement de procès-verbaux divers, pour des raisons laissées à la totale appréciation subjective de l’autorité : achat d’un paquet de gâteaux jugé non nécessaire, dépassement de l’heure légale royalement impartie, fiche d’autorisation jugée mal remplie. Des condamnations si récidives aussi, y compris à de la prison ferme. Evidemment dans les quartiers populaires, l’habituel quadrillage comminatoire est maintenu, voire renforcé maintenant qu’il se « justifie » aux yeux de tous, hors bavures et corps d’exception traités en exceptionnalité.

Une circulaire du ministère de la Justice datée du 25 mars a établi que la caractérisation d’un risque immédiat de mort ou de blessures graves ne paraît pas remplie, « au regard des données épidémiologiques connues ». Mais jusqu’à quand cette « exigence » sera considérée comme non « remplie » ? Arrivera-t-il un jour où, compte tenu de l’évolution de ces données épidémiologiques, la simple présence dans l’espace public caractérisera le délit de mise en danger de la vie d’autrui ?

Les droits de la défense, socle de l’Etat de droit, sont tout autant mis à mal par cet état d’urgence sanitaire. Les avocats du barreau de Lyon ont ainsi dénoncé les mesures prises pour adapter les règles de procédure pénale aux contraintes de l’épidémie du coronavirus, synonymes à leurs yeux de « confinement des droits de la défense ». Les yeux du juriste se tournent alors vers le Conseil constitutionnel. En vain hélas. Celui-ci semble avoir abdiqué sans même avoir lutté. Contrairement peut-être au Conseil d’Etat qui a semblé faire encore de la résistance à l’appareil administrativo-sécuritaire qui s’est mis en branle.

Car rue Montpensier, l’heure est à une dérogation à la Constitution, en décisionnisme affiché. La loi organique du 23 mars n’a pas été votée dans les délais d’attente impartis de 15 jours. Peu importe pour le Conseil constitutionnel qui a écarté cette règle constitutionnelle impérative de procédure parlementaire. Au nom de l’urgence et de la nécessité.

L’Etat de droit cède devant le droit de l’Etat. Le Conseil constitutionnel s’est aussi autolimité « jusqu’au 30 juin », date fixée en Conseil des ministres et qui pose la suspension des délais nécessaires au contrôle constitutionnel. Une décision des autorités acceptée sans sourcillement par le gardien des lois, qui en acceptant de ne pas contrôler d’ici cette date, suspend au passage les garanties constitutionnelles qu’il doit pourtant vérifier et contrôler dans le droit tel qu’il se crée.

Certes, diront certains, mais il s’agit de sauver des vies. Quoi opposer, en pleine pandémie, à cette règle d’airain qui pose que nécessité fait loi ? Oui, mais s’agit-il de confier nos libertés à ceux-là mêmes qui ont créé les raisons qui nous obligent précisément à céder sur ces mêmes libertés ? Sur nos droits aussi à la santé, au travail, à la circulation, à la justice ? Et les carences, insuffisances et incompétences constatées, les choix politiques du tout restrictif budgétaire ne sont-ils pas précisément les causes pour lesquelles il n’est resté que la seule réponse sécuritaire à cette pandémie ? En 15 jours de confinement, 6 millions de contrôles ont pris place et 359 000 procès-verbaux d’infraction dressés. En revanche, aucun dépistage massif et généralisé n’est encore prévu. Ni aucun masque massivement distribué.

Puis le passé récent nous oblige car il a montré que toute législation d’exception porte en elle la possibilité d’abus et dérives. Surtout l’exception peut toujours être pérennisée dans le droit commun. Observons les précédents : contrairement à ce que beaucoup pensent, nous ne sommes pas sortis de l’état d’urgence, lequel fut appliqué entre 2015 et 2017. C’est au contraire cet état d’exception qui est entré dans notre droit commun, en urgence normalisée.

Tout autant que de mesurer les brèches et béances dans l’État de droit, la question est de déterminer si l’état d’urgence sanitaire sera inscrit dans le droit commun. En habitude passive ou habituation résignée. La présidence d’Emmanuel Macron est depuis le début, ou presque, en butte à la contestation sociale, des Gilets jaunes à la réforme des retraites. Qu’en sera-t-il après la sortie de cet état d’urgence sanitaire qui assure aux autorités, par un confinement qui contient aussi la colère, un semblant d’ordre ? Car la colère monte devant les questions, a minima, qui agitent la population. Cet état d’urgence sanitaire servira-t-il autant à agir contre l’épidémie qu’à préparer l’après, pour tenir et contenir cette colère ?

Et l’après dans tout cela ? Quel pays législatif retrouveront les Français ? Un pays où l’état d’urgence sanitaire aura permis de prendre par ordonnance des dispositions « provisoires » sur différents sujets, du droit du travail au droit des justiciables à l’ordre public et à la liberté d’aller et venir. Le jour d’après sera celui d’un pays où le capitalisme de désastre, pour reprendre l’expression de Naomi Klein, aura joué sa partition obstinée. S’agira-t-il un jour non pas de prévenir les catastrophes et les famines, mais de les laisser être pour pouvoir ensuite gouverner sans plus rencontrer de freins et restrictions ? A un pays exsangue, administrera-t-on encore les bons vieux remèdes des « restrictions budgétaires », sous prétexte de « guerre » et « sacrifices » ?  Ce qu’on n’aura obtenu par la coercition s’obtiendra-t-il par la peur, en phobocratie instituée ?

Et Big Mother vous prendra la température

Certes, cette pandémie peut se penser, et se vivre, comme un moment total. Un évènement qui casse une linéarité temporelle et ouvre vers autre chose, à tout point de vue. Comme le ferait un acte terroriste. Jean Baudrillard faisait remarquer que « La tactique du modèle terroriste est de provoquer un excès de réalité et de faire s’effondrer le système sous cet excès de réalité ». Cet hyper-réalité désarçonnante est aussi celle d’un pouvoir fondé sur la peur. L’Etat agit selon ce paradigme. Lourdement, aveuglément, à la nasse, à la louche, à la verbalisation du quotidien et du banal. En détricotage et aplanissement des libertés et droits.

Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la technologie permet de surveiller tout le monde en permanence. Le panoptique de Bentham, le télécran de 1984, tout cela à la portée d’une simple carte SIM. La Chine a donné l’exemple. Les smartphones ont servi d’interface pour situer les gens au temps et endroit précis. Les citoyens devaient aussi vérifier et signaler leur température fébrile et leur état de santé, traçabilité de leurs humeurs corporelles autant que de leurs fréquentations. En Israël, toute la technologie de surveillance du pays a été mise au service de la lutte sanitaire, avec la capacité de « suivre » toute la population civile. Devant la réticence et la résistance de la Knesset, Benjamin Netanyahou a fait adopter un « décret d’urgence ». Quant aux Polonais, un choix leur est royalement laissé :  l’installation d’une application de vérification de confinement sur leur portable et des visites inopinées de la police à leur domicile. Autrement dit l’auto-coercition ou la bonne vieille méthode policière.

Ailleurs aussi, la surveillance fait preuve d’imagination. En Tunisie, un citoyen a eu la surprise de se faire admonester par un robot téléguidé par la police parce qu’il était sorti acheter des cigarettes. A Taïwan, un journaliste a connu l’étonnement de voir débarquer à son domicile la police 30 minutes après que le déchargement de son téléphone ait fait perdre sa géolocalisation satellitaire. Mais tout n’a pas l’aspect dystopique et il arrive que les bonnes vieilles méthodes aient la peau dure. Ainsi dans les quartiers pauvres de Johannesburg, la police a utilisé fouets et balles en caoutchouc contre les populations jugées trop lentes à se confiner.

Comme le note Yuval Noah Harari, ces outils de surveillance de masse permettent « une transition spectaculaire de la surveillance « sur la peau » à la surveillance « sous la peau » ». « Jusqu’à présent, lorsque votre doigt touchait l’écran de votre smartphone et cliquait sur un lien, le gouvernement voulait savoir sur quoi exactement votre doigt cliquait. Mais avec le coronavirus, le centre d’intérêt se déplace. Maintenant, le gouvernement veut connaître la température de votre doigt et la pression sanguine sous la peau » détaille l’essayiste israélien à succès. Nous sommes en plein dans la biopolitique développée par Foucault, celle qui met les individus entre parenthèses, limitant et réglant leurs capacités de déplacement et de vie.

Du traçage et du contrôle de nos actes, nous sommes passés à la possibilité technique de tracer et contrôler l’intime, le pouls, la température, la pulsation cardiaque. Ce n’est plus le corps agissant qui sera l’objet du discours étatique mais le corps ressentant, en lieu du pouvoir de coercition. « Sonder le cœur et les reins » selon l’expression biblique qui accorde cette omniscience à Dieu. Mais en datas numériques des émotions et affects. Il ne s’agit plus de traquer l’ennemi intérieur mais l’intériorité de quiconque, considéré comme ennemi. L’ennemi à l’intérieur de l’ennemi. Chacun est suspect, personne n’est innocent. Contrôle de masse plutôt que surveillance, où la différence entre culpabilité et innocence risque d’être supprimée, tout le monde étant suspect jusqu’à preuve du contraire. Dans ce système, il ne s’agit pas d’agir pour être coupable. Il suffira d’être, de ressentir, d’avoir affects et émotions mesurables et captables. Le for intérieur comme forteresse impénétrable n’est plus. Seule prévaut la transparence comme garantie absolue de son innocuité. Plutôt que de son innocence.

On peut passer au totalitarisme sans le sas obligatoire de la dictature. La bureaucratie morne de la surveillance de masse cède à une bureaucratie high-tech, prédictive et définitive. Dans le régime totalitaire, la bureaucratie s’éloigne de la loi, jusqu’à la contredire, voire s’y opposer. Mais dans le régime total que permet ces instruments de surveillance, à quoi servira encore la loi ? Son rôle de structuration et encadrement des rapports sociaux sera-t-il encore utile quand elle pourra si aisément être remplacée par la surveillance en temps continu de la pulsion de l’humain, pulsion que la loi a précisément toujours tenté d’encadrer et de canaliser ? Et si la loi devient inutile, encombrante voire inefficace, c’est tout l’édifice de la norme qui est lézardé. Ce même édifice qui porte les principes que l’on croyait si solides : démocratie, représentation, séparation des pouvoirs, contrôle de l’Etat.

Mais ce ne sera pas pour autant la fin de l’Etat. Celui-ci n’aura plus à répondre de rien, ni de ses carences, ni de ses failles et faillites à assurer ses missions qui assurent le pouvoir vivre ensemble. Le contrat hobbesien originel qui suppose de restreindre et transférer une partie de ses libertés naturelles en échange de la sécurité et de la paix civile en sera transformé. La sécurité et la protection, les citoyens la réclameront d’autant plus qu’ils auront été soumis à des chocs de peur, lesquels auront amoindri leur capacité de réflexion et de résistance. L’individu atomisé, solitaire, en perte de repère par rapport aux autres et par rapport à lui, désorienté, tout cela par peur de la désolation constamment brandie comme justification. Le pouvoir total plutôt que totalitaire. Une totalité du pouvoir qui n’est pas seulement vertical mais contrôle totalement l’espace relationnel entre les humains et également entre soi et soi. Avec le coronavirus en « triste miracle » selon l’expression de l’essayiste Georges Steiner.

Capitalisme sécuritaire, la vie et la mort marchandisées

Un champ infini d’investissement semble continuer de s’ouvrir pour les entreprises, celui de la sécurité. Exploiter ainsi le gisement inépuisable de nos activités et l’appétit tout autant sans fond des Etats de sonder les entrailles, le cœur et les reins des individus. Le marché sécuritaire s’ouvre et se déploie en captation des données, analyses, anticipations et solutions. L’or immatériel et numérique de nos pensées et affects à la portée d’une carte SIM benoîtement et innocemment posée dans nos poches et sur nos tables de chevet.

Prenez la firme Palantir. Le nom sort tout droit du Seigneur des anneaux, Palantir désignant dans l’œuvre de Tolkien un artefact, une « pierre de vision » ou « pierre clairvoyante » permettant à son utilisateur d’observer des lieux distants dans l’espace et le temps, ou bien de dialoguer avec une autre personne qui utilise elle aussi un palantir. L’ubiquité et l’omniscience, attributs divins s’il en est. Pourtant l’univers de cette firme n’a rien de fantasmagorique. Réputée proche de la CIA, Palantir est en pleine négociation avec la France, la Suisse et l’Allemagne afin de proposer son expertise en termes de récolte et d’analyse des datas. Le but ? Lutter contre l’épidémie de Covid-19. Palantir a déjà conclu un accord avec les autorités britanniques. Selon la firme, sa technologie pourrait tout faire, de la localisation et analyse de la propagation du virus à l’aide aux hôpitaux pour prévoir les pénuries de personnel et d’approvisionnement. L’entreprise propose même ses services pour aider à sortir des mesures de quarantaine. Ce ne serait pas la première fois que Palantir est en relation avec le gouvernement français. L’entreprise avait remporté un contrat afin de fournir ses logiciels aux services de renseignement français, après les attaques terroristes de 2015. L’accord avait été renouvelé en 2019.

Chez nos voisins, Swisscom fournit désormais aux autorités les données permettant de repérer les rassemblements de plus de 5 personnes dans les espaces publics. La technologie sécuritaire trouve à s’épanouir au nom de l’impératif sanitaire. Ce type de surveillance de masse, réservée à la lutte contre le terrorisme, est déjà utilisé en Chine, en Corée du Sud, au Japon, en Israël, en Lombardie et en Pologne pour enrayer la propagation du virus.

En France, selon le site La Quadrature du Net, Orange apparaît en première ligne dans la commercialisation de nos données de géolocalisation à travers ses bornes de branchement, qui sont tout autant bornes de captation et de surveillance. Jusque-là l’entreprise utilisait ses possibilités pour informer sur les mouvements de touristes. Quoi de plus simple qu’étendre cette capacité technique aux malades et confinés ? Comment aurions-nous su sinon que 17% des Parisiens avaient quitté leur domicile vers des cieux provinciaux plus verts ? Et après cette épidémie, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas géolocaliser les catégories de la population jugées dangereuses ? Une technologie ne s’use que si on ne l’utilise pas après tout. Du tout sécuritaire et des marchés prometteurs en la matière. La pandémie semble ouvrir une brèche dans les murs de protection de la vie privées péniblement construits peu à peu. Car légalement, la loi interdit cette pratique, à l’exception de la lutte contre des crimes et infractions graves (directive européenne ePrivacy).

Le capitalisme moribond semble ainsi se requinquer par la découverte du dernier gisement à exploiter, celui de l’intime. La dernière terra incognita à coloniser, sur laquelle planter sa bannière de la mission pacificatrice. Quitte en réalité à y apporter un état de guerre permanent. Car la terre physique est quadrillée, exploitée, rincée par notre avidité. La force mécanique de l’être humain l’est tout autant, esclavagisée au fétichisme marchand, obligée de produire ici, en épuisement, ce qui sera consommé là, en gavage. Que reste-t-il autant à conquérir qu’à monnayer sinon l’intériorité de l’humain ? Ce qu’il est, fait, pense, dit. Au fond, le vif était déjà marchandisé. Place à la monétisation du vivant. Du potentiel du vivant aussi. Son pendant exact, la mort, semble tout autant lucrative. Les grandes et petites manœuvres autour des médicaments et du futur vaccin contre le coronavirus et toute autre future pandémie en sont les sinistres préludes. En thanatocapitalisme, selon les travaux et le concept établi par Mathieu Rigouste. Car « Peau pour peau ! Tout ce que possède un homme, il le donne pour sa vie ».

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Illustration: Crédit inconnu. Paris, Mars 2020.

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