L’eschatologie chrétienne, ou prophéties de fin du monde, est une grille de lecture effective politiquement. Mais elle reste trop mal saisie alors qu’elle explique et sous-tend le cours de nombreux événements.
[Nous sommes en 2003]. Les Etats-Unis s’apprêtent à lancer une guerre contre l’Irak en raison d’« armes de destructions massives » prétendument possédées par Saddam Hussein. Autrement dit, à détruire un pays souverain, sous un prétexte fallacieux. La France de Jacques Chirac répugne à cette guerre, pour diverses raisons, dont celles des risques évidents de déstabilisation de toute la région. Le dit Etat islamique et la guerre de Syrie lui donneront raison. La scène qui suit est rapportée par le journaliste Jean-Claude Maurice dans son livre Si vous le répétez, je démentirai (Plon, 2009) « Lors d’[une] conversation téléphonique visant à convaincre son homologue français de se joindre à la coalition, George Bush Jr. a utilisé un argument singulier, affirmant que […] « Gog et Magog sont à l’œuvre au Proche-Orient » et que « les prophéties bibliques sont sur le point de s’accomplir ». Sur le moment, Jacques Chirac, stupéfait, ne réagit pas ». Le journaliste raconte que l’Elysée consultera d’urgence Thomas Römer, professeur de théologie à l’université de Lausanne. Oui, de théologie. Le spécialiste de l’eschatologie biblique expliquera que Gog est le prince de Magog, celui dont parle L’Apocalypse (ou Révélation). Il apparaît dans la Genèse, et surtout dans le Livre d’Ezéchiel qui décrit une armée mondiale livrant la bataille finale au peuple d’Israël rassemblé en Palestine. Un conflit voulu par Dieu qui doit, terrassant Gog et Magog, anéantir à jamais les ennemis de l’Israël biblique avant l’instauration du Royaume de Dieu.
La communication autour de la fin de Saddam Hussein sera double. La chute de son immense statue érigée à Bagdad sera d’abord donnée à « lire » comme celle d’un dictateur. Vision politique et matérialiste des hommes qui forgent leur histoire et leur liberté. Mais une autre lecture, religieuse celle-là, distinguera dans cette lourde chute l’accomplissement de la parole biblique contenue dans Apocalypse 14-8 : « Elle est tombée, Babylone la Grande ». Selon cette prophétie, la chute de l’empire babylonien annoncerait l’instauration du Royaume de Dieu. Et évidemment, dans cette vision biblique transposée à la réalité géopolitique, l’Irak de Saddam Hussein était censée incarner l’empire babylonien. En outre, la guerre du Golfe contre l’ « axe du mal », en anglais « axis of evil », pouvait être compris comme les prolégomènes ou les signes du temps annonciateurs d’une lutte métaphysique finale du Bien contre le Mal.
Pour un esprit français, frotté au cartésianisme et à la lente émancipation du religieux, cette référence biblique ne pouvait qu’être incompréhensible. Pas pour un président américain issu de la Bible Belt et rompu aux visions apocalyptiques. Gog et Magog, la Chute de Babylone la Grande, le retour des exilés juifs en terre antique d’Israël, la parousie du Christ, tout cela pèle-mêle peut paraître plus concret que la plus réelles des réalités géopolitiques.
Anecdote fumeuse que tout cela s’il ne s’agissait de créer pour certains les conditions géopolitiques d’une réalisation des prophéties bibliques. Quitte à anticiper le dessein divin, voire à le bousculer à coup de guerres bien humaines celles-là. Nietzsche, lui-même décédé depuis si longtemps, avait donc tort. Dieu n’est pas mort…
Le messianisme chrétien à la Maison-Blanche
C’est évident, Donald Trump n’a rien d’un parangon des valeurs évangéliques. Mais sa piété religieuse s’affiche dans le domaine politique. Des congrégations évangéliques se rassemblent autour de sa politique. En 2016, les chrétiens évangéliques ont voté à 81% pour lui. Pas à cause de ses convictions religieuses. Plutôt malgré leur absence. Donald Trump semble vu par eux comme un véhicule imparfait de la volonté de Dieu qui façonnerait ainsi la politique américaine dans le sens du dessein divin.
Selon le recensement de l’historien et chercheur au CNRS Sébastien Fath, le monde compte aujourd’hui 640 millions de protestants évangéliques. Les Etats-Unis demeurent le pays à la plus forte concentration d’évangéliques (93 millions), suivis de la Chine (65 ), du Nigéria (55) et du Brésil (46). Les évangéliques représentent donc un peu plus d’un quart de la population chrétienne mondiale, estimée à 2,4 milliards de croyants.
Parmi les soutiens de Donald Trump, Robert Jeffress. Pasteur évangélique à la tête d’une des plus importantes congrégations protestantes évangéliques du pays. C’est lui qui, le jour du scrutin présidentiel de 2016, avait déclaré « Dieu a déclaré que ce ne seraient pas les sondeurs qui choisiraient le prochain président des États-Unis » et que les chrétiens qui ne voteraient pas Donald Trump étaient « des imbéciles ».
Après l’élection, Robert Jeffress a été nommé par Donald Trump membre du Conseil consultatif évangélique et de l’Initiative de la Maison-Blanche pour la foi, sorte d’instance religieuse qui conseille le président, selon les termes même de Jeffress « sur un certain nombre de questions » : qu’il prie avec lui ou qu’il déclare lors du sermon religieux auquel le président avait assisté avant son investiture que « Dieu n’est pas contre la construction de murs ! ». Ce pasteur ultra-influent légitime ainsi toute la politique de Donald Trump. Pour certains observateurs de la politique américaine, il préside le système politique américain comme une force extra-constitutionnelle, en signe de volonté divine qui ne serait évidemment pas un choix démocratique.
Ce sous-bassement chrétien évangélique s’exprime profondément dans la politique américaine. D’abord à travers la composition de la Cour suprême sur laquelle le président a influé, l’action du gouvernement contre l’avortement et aussi la porosité plus grande entre l’Église et l’État. Dans un tel climat religieux, les responsables de l’administration Trump ont pris l’habitude d’utiliser des interprétations bibliques fondamentalistes pour soutenir tout, de la déréglementation environnementale aux réductions d’impôts.
Prenez le cas de Scott Pruitt, jusqu’à peu à la tête de l’Agence de protection de l’environnement (Environmental Protection Agency), et ancien administrateur du Southern Baptist Theological Seminary, école phare du mouvement baptiste. Lors d’une interview du très influent média évangélique Christian Broadcasting Network, il avait déclaré que les Américains qui veulent des normes environnementales plus strictes sont en contradiction avec la Bible : « La vision biblique du monde concernant ces questions est qu’il nous incombe de gérer, de cultiver et de valoriser les ressources naturelles qui nous ont été accordées pour vraiment bénir notre prochain ». Visiblement, Dieu ne croit pas au réchauffement climatique et se placerait plutôt du côté des intérêts pétroliers.
Puis ce fut au tour du procureur général Jeff Sessions de brandir la Bible afin de défendre la politique d’immigration de l’administration Trump : « Je vous citerais l’apôtre Paul et son ordre dans Romains 13 qui nous dit d’obéir aux lois du gouvernement, car Dieu a ordonné le gouvernement à ses fins ». Petit souci, c’est ce même texte qui, au 19e siècle, a pu servir aux Sudistes pro-esclavagistes. Ce passage a aussi été utilisé par les conservateurs religieux blancs d’Afrique du Sud pour défendre l’apartheid.
C’est à ce même passage qu’a semblé se référer Sarah Sanders. Devant un parterre de journalistes dont l’un demandait : « Où est-il écrit dans la Bible qu’il est moral d’éloigner les enfants de leur mère ? », la porte-parole de la Maison-Blanche a expliqué qu’il serait « biblique » pour un gouvernement d’appliquer la loi sur l’immigration. C’est elle aussi qui avait déclaré en janvier 2019 lors d’une interview « que Dieu […] voulait que Donald Trump devienne président ».
La Guerre et la Paix selon la Bible
Les responsables de l’administration Trump ont utilisé des interprétations bibliques fondamentalistes pour justifier leur politique intérieure, quand bien même celle-ci serait fondamentalement contraire aux Evangiles. Mais de telles errances pharisiennes ont des conséquences tout aussi inquiétantes sur la politique étrangère de ce qui reste encore la première puissance mondiale.
Ces chrétiens évangéliques sont pour la plupart des chrétiens sionistes et participent du mouvement néoconservateur. Des organisations viennent matérialiser ce lien entre Israël et le mouvement évangélique. Les chrétiens unis pour Israël (Christians United for Israel) par exemple est la plus grande organisation populaire pro-israélienne aux États-Unis.
Selon ce courant, la création de l’État d’Israël en 1948 est le premier pas vers l’accomplissement des prophéties bibliques et prépare le retour de Jésus comme Christ reconnu par tous. Le christianisme des Pères de l’Eglise catholique avait développé l’idée que si le peuple juif était initialement le peuple élu, son refus de reconnaître Jésus comme le Messie a entraîné son rejet par Dieu. Pour les chrétiens sionistes, au contraire, l’élection divine du peuple juif a été maintenue, même après le rejet et le sacrifice de Jésus. Ils interprètent de façon littérale les mentions bibliques du peuple juif qui correspondraient, selon eux, à l’Israël politique actuel. Les évangélistes considèrent que l’existence même de l’État d’Israël, puis le rassemblement de tous les juifs du monde, ramènera Jésus sur terre (parousie), le fera définitivement reconnaître comme Messie et assurera le triomphe du Bien sur le Mal. Le peuple juif n’aura alors d’autres choix que de se convertir au christianisme. Trois passages bibliques leur servent à justifier leur vision : le Livre d’Ézéchiel qui annonce le rassemblement des juifs sur leur terre et la destruction des envahisseurs futurs ; le Livre de Daniel prédit la montée en puissance de divers royaumes mondiaux, ennemis d’Israël, qui seront finalement vaincus par Dieu à la fin des temps ; l’Apocalypse de Jean, texte eschatologique chrétien le plus développé, fait référence à la Bête et à son signe (666) et à la confrontation finale du Bien et du Mal ou la bataille d’Armageddon.
Ces prophéties bibliques comprises comme telles concluent que seul le rassemblement de tous les juifs du monde en Israël rétabli dans ses frontières bibliques achèvera la parousie du Christ et de l’avènement de son règne millénaire. Autrement dit le royaume de Dieu est suspendu à l’alya de chaque juif de la diaspora. La Bible devient le cadastre, l’acte notarié, le plan politique et géopolitique de Dieu. Que pèsent alors la revendication des Palestiniens et leur appel à la rationalité politique pour voir reconnaître et rétablis leurs droits ?
Cet avènement du Christ supposera pour les juifs rassemblés en terre israélienne la conversion au christianisme ou l’enfer. Une rhétorique antisémite que même Donald Trump adopte. C’est là que se retrouve le pasteur Jeffress, qui traduit à lui tout seul tout l’antisémitisme affirmé des soutiens évangéliques de Donald Trump. Certes, c’est lui qui a dirigé une prière lors de l’ouverture de l’ambassade américaine à Jérusalem. Mais c’est aussi le même qui a déclaré que les juifs iraient « en enfer » : « Vous ne pouvez pas être sauvé en tant que Juif, vous savez qui a dit cela ? Les trois plus grands Juifs du Nouveau Testament, Pierre, Paul et Jésus-Christ. Ils ont tous dit que le judaïsme ne sauve pas et que c’est la foi en Jésus Christ qui le permet ».
Elucubrations ? Fantasmes d’esprits échauffés ? Sans doute. Le problème reste que Donald Trump, mégalomanie ou délire mystique galopant, s’est pris au jeu dangereux de l’apothéose. Littéralement de l’élévation au rang du divin. Du moins à celui de l’ « Oint », autrement dit de l’Elu. Les responsables de son administration distillent cette idée d’une volonté divine à l’œuvre derrière chaque acte du président à la « twittite » aiguë. Or cette croyance a des implications fondamentales sur sa politique étrangère.
Lors d’un voyage au Moyen-Orient effectué après la reconnaissance de l’annexion israélienne du Golan, le secrétaire d’État Mike Pompeo a au micro du Christian Broadcasting Network comparé le président américain à Esther. Cette reine apparaît dans le livre éponyme de l’Ancien Testament. C’est elle qui, mariée au Roi Perse Assuérus, le persuada d’épargner les juifs menacés par les machinations du vice-Roi Haman. Mike Pompeo osa donc la comparaison et a déclaré que Trump était le sauveur du peuple juif. Avec toute l’acception chrétienne que suppose ce terme de « Sauveur », racine du prénom Yeshua, Jésus, « celui qui sauve ». Lors de ce voyage, Mike Pompeo a aussi visité le Mur des Lamentations à Jérusalem avec Benjamin Netanyahou. Il devenait ainsi le premier haut responsable américain à visiter la vieille ville accompagné d’un homologue israélien. « Je suis convaincu que le Seigneur est au travail ici » a déclaré le secrétaire d’État américain préposé à la diplomatie de son pays.
Détail du calendrier qui n’a rien d’anodin, ce geste de reconnaissance sur le Golan s’est fait le 22 mars. Le jour même de Pourim, fête religieuse juive qui célèbre précisément la chute du « méchant Haman ». Comme si un double tempo, politique et biblique, scandait la politique étrangère de Trump. Benjamin Netanyahou a d’ailleurs qualifié la décision de Donald Trump de « miracle de Pourim ». Et Donald Trump a déclaré qu’il avait reconnu la « souveraineté » revendiquée par Israël sur le Golan occupé après une « leçon d’histoire rapide ». Toute la question est de savoir de quelle « histoire » il s’agit…
S’il n’est pas certain que Donald Trump soit réellement destiné à sauver tout le peuple juif, le président américain a toutefois offert à « Bibi », outre le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, un retrait du Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour protester contre son parti pris prétendument anti-israélien. Autre tribut, divers camouflets et désaveux de l’autorité palestinienne, de la fermeture du bureau de l’OLP à Washington à la suspension des contributions américaines à l’UNRWA, l’agence des Nations Unies aidant les réfugiés palestiniens.
Plus avant, en 2018, le Premier ministre israélien avait osé la comparaison entre le président et un autre « Oint », Cyrus le Grand. Ce dernier fut ce roi perse qui sauva les exilés juifs de la captivité babylonienne et proclama qu’ils pouvaient revenir et reconstruire le temple à Jérusalem. Cette déclaration s’est faite lors d’une réunion à la Maison-Blanche durant laquelle le Premier ministre israélien a remercié le président Trump pour la relocalisation de l’ambassade américaine dans la ville de Jérusalem. Après cette reconnaissance unilatérale contraire au droit international, des évangéliques ont aussi fait remarquer que Donald Trump est le 45e président américain et que la prophétie concernant le roi Cyrus délivrant les Israélites de la captivité apparaît dans le 45e chapitre d’Esaïe, le prophète de l’exil babylonien. CQFD. Les voies de Dieu sont décidément mystérieuses…
L’Axe évangélique et l’Iran
Au-delà de sa personne, Donald Trump s’inscrit dans un axe informel de fanatiques chrétiens déterminés, semble-t-il, à créer leur propre choc des civilisations. Ou plutôt celui des apocalypses religieuses. Ces prophéties saisies dans la lettre finiront-elles par déboucher sur une guerre totale, bien humaine celle-là ? Car les extrémistes religieux ont tendance à avoir une vision apocalyptique du monde. Ils luttent contre le Mal. Par tous les moyens y compris ceux proscrits par leurs propres textes, tel que le pourtant fondamental « Tu ne tueras point ».
Ce langage théologique et téléologique est devenu la langue commune de l’alliance entre les évangéliques américains, brésiliens, africains et la politique israélienne telle qu’elle est menée par Netanyahou. Jair Bolsonaro, lui-même chrétien évangélique, se situe de cet axe chrétien sioniste. Son second prénom est d’ailleurs Messias, de l’hébreu Mashiach, « le Messie ». Lors d’un déplacement début avril en Israël, il avait créé un précédent diplomatique en devenant le premier chef d’État étranger à se rendre au Mur des Lamentations en compagnie d’un Premier ministre israélien. Or cet emplacement de la vieille ville de Jérusalem est considéré par la communauté internationale comme un territoire palestinien occupé.
Autre piste évangélique, cette fois en Europe, celle du fils du hongrois Viktor Orban, Gaspar. Ce dernier a fondé sa propre Eglise charismatique. Toute la question est de déterminer dans quelle mesure l’amitié affichée entre le Premier ministre hongrois et celui d’Israël tient aussi à cette proximité évangélique.
La poussée évangélique se décèle aussi en Afrique où ce prosélytisme est en train de changer la sociologie religieuse du continent. Ces réseaux évangéliques africains sont en passe de devenir un des fondements du soft power israélien. Benjamin Netanyahou l’a d’ailleurs bien compris. Lors de sa tournée africaine de 2016 qui l’avait mené de l’Ouganda au Rwanda, du Kenya à l’Ethiopie, le premier ministre israélien a manié ce discours à double détente, politique et religieux. L’un des enjeux est le vote des pays africains à l’ONU. Et pour certains dirigeants africains, la route vers Washington passe forcément par Tel-Aviv.
Cette idéologie prophético-politique est évidemment un levier efficace du Premier ministre israélien dans la politique américaine. Il est la clé de l’influence de Benjamin Netanyahou dans la politique américaine. Car tout comme les évangéliques sionistes, le Premier ministre israélien fait une double lecture des événements, politique et religieuse.
Comparer la situation actuelle avec une histoire biblique millénaire est une constante dans la rhétorique de Benjamin Netanyahou. En mars 2015, lors de son discours controversé devant le Congrès dans lequel il avait critiqué les négociations nucléaires du président Obama avec l’Iran, il avait proclamé : « Aujourd’hui, le peuple juif est confronté à une autre tentative d’un autre potentat persan de nous détruire ». Cette prise de position ferait de l’Iran un Haman des temps modernes qui menacerait les juifs et Israël. Or, contrairement aux affirmations de Netanyahou selon lesquelles Haman était un « vice-roi persan », ce personnage biblique n’est en fait pas un Persan mais un Amalécite. Descendant donc d’un peuple décrit comme ennemi éternel du peuple juif dans l’Ancien Testament. L’histoire d’Esther pourrait donc aussi être lue comme celle d’un dirigeant perse qui a aidé à sauver le peuple juif. Comme le perse Cyrus le Grand. Cela avait d’ailleurs été rappelé par le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif qui avait donné une leçon biblique au Premier ministre israélien : « Il déforme même sa propre écriture. Si vous lisez le livre d’Esther, vous verrez que c’est le roi iranien qui a sauvé les juifs ».
C’est surtout pour la question fondamentale de Jérusalem, qualifiée par lui de capitale « éternelle et indivisible », que Benjamin Netanyahou mêle religion et politique. Du haut de la tribune de l’ONU, en septembre 2018, il avait lancé : « Jérusalem est mentionnée 142 fois dans le Nouveau Testament et aucun des 16 noms arabes de Jérusalem n’est mentionné dans le Coran. Mais dans une interprétation élargie du Coran à partir du 12e siècle, un passage fait référence à Jérusalem ». Son message épousait parfaitement le style de langage employé par les prédicateurs évangéliques. Mais cet argument religieux se heurtait à celui, politique et de droit, du négociateur en chef palestinien Saeb Erakat, lequel répliqua qu’il trouvait « très déplaisant d’utiliser la religion pour inciter à la haine et à la peur. Jérusalem-Est est une ville palestinienne occupée et Jérusalem-Est ne peut continuer à être occupée s’il doit y avoir une paix ».
Pour la ville de Hébron ou Al Khalil, là encore la Bible est brandie pour justifier l’occupation israélienne. Cette ville est supposée être le lieu de sépulture d’Abraham, Isaac, Jacob, et leurs épouses respectives, Sarah, Rebecca et Leah. Quand l’Organisation des Nations Unies pour la science et la culture sur l’éducation (UNESCO) désigna Hébron site du patrimoine palestinien, le Premier ministre israélien avait déclaré : « Vous n’allez pas lire cela dans le dernier rapport de l’UNESCO. Mais si vous le souhaitez, vous pouvez en prendre connaissance dans une publication un peu plus lourde. Ça s’appelle la Bible ».
Quand il avait été reçu par Emmanuel Macron en décembre 2017, Benjamin Netanyahou avait eu ce conseil lors de la conférence de presse qui a suivi la rencontre : « Lisez la Bible – Jérusalem est notre capitale ! Vous pouvez lire cela dans un très bon livre qui s’appelle la Bible ». Avant soudain de revenir au politique et de déclarer « Plus tôt les Palestiniens comprendront cette réalité, plus vite nous avancerons vers la paix ».
Plus récemment, en janvier 2019, au cours d’une visite du bloc de colonies de Gush Etzion en Cisjordanie, il a affirmé que si les alliances diplomatiques complétaient la capacité du pays à se défendre, l’Etat d’Israël avait été fondé dans et par la Bible. Tout comme Trump et ses études bibliques à la Maison-Blanche, Netanyahou a renouvelé la pratique des réunions du cercle biblique dans sa résidence officielle.
Benjamin Netanyahou, s’il s’entoure de religieux orthodoxes, est réputé peu respectueux des commandements du judaïsme. Mais il mêle constamment rhétorique religieuse et arguments politiques. Lors de ses vœux pour 2010, il avait exprimé sa gratitude aux chrétiens du monde entier, et aux États-Unis en particulier, pour leur soutien sans faille à l’État israélien, parlant de « destin commun ». Puis d’ajouter « Nous vivons une époque historique. Les anciennes prophéties se réalisent. Le peuple d’Israël a rassemblé ses exilés, est revenu dans la Terre promise, a construit Sion, a réuni notre capitale éternelle, Jérusalem ».
Dès lors, dans un tel climat biblico-politique, qu’attendre de l’ « Accord du Siècle » (Deal of the Century) que doit révéler Donald Trump en juin, après le mois de ramadan ? Ce plan réglé par le gendre de POTUS, Jared Kushner, est censé proposer l’ultime solution à ce qui est appelé le « conflit israélo-palestinien ». Selon le Washington Post, ce plan aurait d’ores et déjà supprimé toute référence à un État palestinien, préalable politique qui jusque-là avait été le principe de base des efforts de paix.
Alors que les offensives diplomatiques et économiques américaines contre l’Iran se multiplient, faut-il déceler là encore la manifestation d’une lecture littéraliste de la Bible, l’Iran figurant l’Empire perse biblique ? Tout le paradoxe est que l’Iran, pourtant présenté comme irrationnellement religieux, est le pays qui agit dans la rationalité la plus politique, réclamant le respect du droit international. Là où les Etats-Unis et leurs alliés semblent nier ce même droit au profit d’un brouet de prophéties auto-réalisatrices mal digérées.
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Illustration : Les quatre cavaliers de l’Apocalypse, Eduard Jakob von Steinle, 1838.