Le fondateur de la librairie Al Bayyinah Thomas Sibille a décidé d’accorder sa première interview à [Ehko] et nous a annoncé avoir déposé plainte contre Bernard Rougier et le JDD pour « diffamation ».
En janvier dernier, pour la première fois, cette librairie a été citée dans un livre coordonné par le chercheur Bernard Rougier, Les territoires conquis de l’islamisme. L’ouvrage, qui l’associe à l’Etat islamique dans le titre du chapitre, sert de support au projet de loi contre « le séparatisme islamiste » et aux critiques médiatiques et politiques visant l’islam et les musulmans.
En août, Le Journal du dimanche a publié l’article « Comment Argenteuil est devenue une terre salafiste » et l’accuse notamment de « proposer tous les livres de chevets des islamistes » et d’avoir eu pour clients « des personnes entendues par la justice dans des affaires de djihadisme ». Son contenu a été remis en cause par plusieurs personnes citées, dont Thomas Sibille.
Avec ses associés, il a nommé la librairie « comme une sourate du Coran qui signifie la preuve claire », « car les livres sont le moyen d’accéder au savoir et peuvent guider vers la connaissance ».
Celui qui a choisi comme second prénom musulman Bilal, en référence à un des premiers convertis à l’islam et compagnon du prophète Mohammed car « il a aussi été éprouvé », s’interroge sur ce qu’il vit comme un acharnement des services de l’Etat, particulièrement depuis l’état d’urgence de 2015. Il nous a ouvert les portes de sa librairie située dans un quartier d’Argenteuil (95) qui sera bientôt détruit, de son entrepôt, accordé une longue interview, plusieurs échanges et adressé avec son avocat les documents attestant de ce qu’il dénonce. « Pour parler et ne plus laisser parler de lui à sa place ».
[Ehko] : Pourquoi, pour la première fois, avez-vous décidé de parler à un média ?
[Thomas Sibille] : Le premier à avoir parlé d’Al Bayyinah est Bernard Rougier dans le livre Les territoires conquis de l’islamisme sorti en janvier. Le passage est truffé de diffamations, de raccourcis et d’informations non vérifiées. Personne de son équipe n’est venu nous rencontrer, alors qu’on a pignon sur rue et qu’on est très facilement joignables.
Puis il y a eu l’article du Journal du dimanche (JDD) en août. Les deux m’ont choqué. Avec mon avocat maître Samir Hamroun, nous avons déposé plainte pour diffamation contre Bernard Rougier et contre le JDD. Nous avons également contacté le maire d’Argenteuil.
Bien souvent, les médias sont à la recherche de sensationnel et sont rarement objectifs, surtout lorsqu’il s’agit d’islam. Au risque de voir mes propos déformés, je n’ai jamais souhaité parler publiquement. D’autant que je suis libraire et non polémiste, je n’ai normalement pas à le faire. Mais puisque la presse a parlé de mon entreprise et de moi, j’ai souhaité m’exprimer dans un média que je crois être de bonne foi et qui fait preuve d’un vrai professionnalisme.
Vous n’acceptez donc habituellement pas les interviews pour parler de politique et de la situation d’Al Bayyinah ?
Non, je n’ai pas envie. D’abord car nous sommes commerçants pas imams ou responsables associatifs pour avoir à porter un message public ou prendre la responsabilité de s’exprimer au nom des musulmans. Ensuite, parler c’est s’exposer. Je ne souhaite pas voir des grand médias faire la queue devant la librairie parce que quand bien même je montrerais patte blanche et dirais que je n’ai rien à voir avec le terrorisme, je sais comment ils procèdent. Ils prennent un extrait d’un livre ou, comme ça a été fait, pointent que telle personne partie en Syrie serait venue faire des achats et montent une affaire sur un truc bidon. Donc ça ne sert à rien de parler.
Aucun autre média n’a parlé de votre librairie ? Aucun chercheur ne vous a rencontré ?
En 2009, deux journalistes du Figaro sont venues et nous ont dit que leur reportage avait pour but de dédiaboliser l’islam en donnant la parole aux musulmans. L’une d’elle s’est même présentée en tant que fille d’imam. J’ai répondu que je n’étais pas intéressé, surtout parce que Le Figaro n’est pas connu pour avoir une ligne éditoriale dédiabolisant les questions ayant trait à l’islam. Finalement, l’article a traité de « l’islam radical » et elles ont publié une photo de moi prise à mon insu…
Le journaliste du JDD ne s’est pas présenté en tant que journaliste quand il est venu cet été mais en tant que personne qui venait acheter un exemplaire du Coran et un tapis pour un ami converti à l’islam, en disant qu’il était aussi intéressé par l’islam. Ce qu’il décrit dans son article est faux et orienté, sauf le fait qu’on lui a offert un livre, témoignage de notre sympathie.
Mais notre librairie et la ville d’Argenteuil sont ciblés, surtout depuis l’état d’urgence.
Comment êtes-vous « ciblés » ?
Depuis l’ouverture de la librairie en 2009, et ça c’est accentué à partir de 2015 [Ndlr. Après les attentats et l’état d’urgence], nous avons les renseignements généraux et d’autres services de l’État sur le dos.
On a subi une perquisition en 2015 durant l’état d’urgence à la librairie et à mon domicile, des contrôles fiscaux mais zéro redressement, la fermeture de nos comptes bancaires par les banques. Aujourd’hui, les médias et des chercheurs…
Lors de la perquisition, les policiers ont investi les lieux, visage couvert, avec chiens et boucliers. Ils ont tout fouillé dans la librairie et son entrepôt. L’un d’eux, d’origine maghrébine, m’a demandé pourquoi on vend des livres parlant du « djihad », en pointant des livres en arabe sur la jurisprudence islamique. J’ai répondu que tous les livres de jurisprudence ont un chapitre sur le sujet, comme la législation française a un chapitre sur la guerre. Cela ne veut pas dire que la France est un pays guerrier, ni que l’islam est une religion guerrière.
Il vaut mieux connaître le djihad pour savoir ce que ça signifie et quelles sont ses limites plutôt que ne rien connaître, être sous le coup de l’émotion après avoir vu une vidéo de propagande et commettre des crimes.
Il m’a répondu quelque chose du genre « Oui, c’est ça ». J’ai ajouté que toutes les librairies vendent ce type de bouquins, il a rétorqué qu’on sait pourquoi on vient particulièrement ici.
Il lisait l’arabe ? Vous aussi ?
Oui. J’arrive à lire et à comprendre mais je n’ai pas un super niveau.
Il a aussi demandé pourquoi on vend des livres qui appellent à « aller en Syrie », en pointant Le chemin vers Dieu d’Ibn Al Qayyim. C’est un livre sur la spiritualité qui explique comment cheminer vers Dieu, écrit par un imam du Moyen-Âge qui n’a rien à voir avec un conflit contemporain…
Au moment de se rendre à mon domicile, un agent m’a demandé ce que « je foutais là », ajoutant que je n’ai pas le profil, et comment j’étais devenu musulman. Je lui ai expliqué que je suis un ancien catholique converti à l’islam. Il m’a dit qu’on se reverrait.
Chez moi, un autre policier maghrébin m’a dit de ne pas m’inquiéter, parce qu’il savait que je n’avais rien à voir avec tout ça, que c’est de la politique et qu’ils étaient obligés d’agir ainsi. Je l’ai interrogé : « Pourquoi nous ? ». Réponse : « Le profil ».
Quel serait votre « profil » ?
Je suis converti, barbu, gérant d’une librairie musulmane.
Il m’a dit qu’il espérait que si on rencontrait des gens dangereux, on les dénoncerait. On n’en connaît pas et bien sûr, en cas de danger, on serait les premiers à chercher à les arrêter.
Comme à la librairie, la police est intervenue chez moi avec des chiens et ne m’a pas laissé entrer au départ. Ma femme a dû quitter notre domicile avec notre petit dernier. Ils ont tout retourné, tout vidé, mis au sol… Là encore, le policier maghrébin a regardé les livres de ma bibliothèque. Puis, il a appelé un collègue : ils pensaient avoir trouvé quelque chose. C’était le pistolet en plastique de mon fils de trois ans…
Le commissaire m’a annoncé qu’ils n’avaient rien trouvé mais qu’ils pourraient revenir parce que je suis dans leurs fichiers.
Vous voulez dire que vous êtes fiché S ?
Oui.
Avez-vous ensuite cherché à avoir des informations, éventuellement mené des poursuites judiciaires ?
On voulait contester l’ordre de perquisition, pour que la police ne se dise pas que l’on est d’accord avec ces méthodes. Mais l’avocat sollicité à l’époque n’a pas fait le nécessaire. Quelques semaines après, on a reçu un avis annonçant un contrôle fiscal. Un monsieur à quelques mois de la retraite a débarqué avec un jeune d’origine maghrébine. Au départ il était très mal à l’aise, on l’a accueilli avec un café, pour être le plus sympathique possible. Finalement, il nous a remerciés pour l’accueil après les trois mois de contrôle.
Les services fiscaux ont tout passé au peigne fin, selon la méthode « Al Capone » préconisée par les ministres de l’Intérieur et premiers ministres ?
Oui, ils ont vérifié les logiciels de caisse et analysé nos comptes en détail pour connaître les transactions mais n’ont rien trouvé : nous faisons tout pour être carré depuis notre ouverture.
J’ai expliqué à notre avocat les pressions en permanence, les contrôles d’Urssaf, les marchandises bloquées en douane. Il m’a dit que puisqu’ils nous pensent suspect, ils allaient m’ennuyer tout le temps. Ils ont certainement des notes blanches et des informations à notre sujet, totalement erronées. Il m’a proposé d’aller rencontrer les services pour leur dire qui je suis, ce que je pense.
Vous avez suivi les conseils de votre avocat et rencontré les services de police ?
J’ai contacté la préfecture. Quelques jours plus tard, les agents qui m’ont perquisitionné m’ont donné rendez-vous, à visage découvert cette fois. On a parlé trois heures. J’ai exposé au mieux le fond de ma pensée.
Je leur ai par exemple expliqué que si ce qui pose problème c’est qu’on édite et vende des livres des savants Ibn Abd Al Wahhab, Ibn Taymiyyah ou d’autres, il devaient comprendre que c’est de la théologie classique et que même si les courants contemporains de terrorisme les citent, ces savants ne sont pas pour autant complices de leurs déviances, ni les autres lecteurs. Il n’est absolument pas interdit de les lire, les étudier ou même les réfuter.
Une personne qui lit est dans une démarche de réflexion, généralement, il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Une personne qui va se « radicaliser » comme on dit va plutôt regarder des vidéos, être prise par l’émotion qui va la mener à faire des choses qu’en réfléchissant elle n’aurait pas accepté. C’est ce que j’ai expliqué aux services de renseignements, qui m’ont dit que ça concernait les jeunes mais pas les idéologues.
On a publié un avertissement sur le site internet, pour dire aux clients de faire attention à la manière dont ils vont comprendre le livre et les inviter, s’il y a des choses qu’ils ne comprennent pas, à en parler avec des personnes qualifiées. On leur dit aussi de ne pas basculer dans la violence ou le sectarisme. A notre niveau on a fait ce qu’il fallait pour qu’il ne puisse pas y avoir d’amalgames. Si des gens comprennent les choses de travers, on ne peut pas être responsables.
C’est simple : je condamne les attentats et la violence, qu’est-ce que je peux faire de plus ?
Je ne suis ni idéologue, ni imam, ni responsable associatif, je suis libraire. A titre personnel je condamne les attentats et ne vends pas de livres qui les justifient, par contre je vends plein de livres qui condamnent les attentats !
Les agents du renseignement m’ont demandé pourquoi je publie des biographies de combattants et conquérants, comme Tariq Ibn Ziyad. Pour moi, Tariq Ibn Ziyad c’est l’Andalousie, le vivre-ensemble entre musulmans, juifs et chrétiens. C’est pour faire connaître des figures emblématiques de notre histoire que nous les avons édités. Mais pour eux, Al Andalous c’est un forum d’Al Qaïda. Je ne le savais pas…
Vous pensez que durant la perquisition, ils s’attendaient à voir des revues de l’État islamique ou autre propagande ?
Je ne sais pas. Ils ont dit qu’à partir de 2013, des personnes proches de la mouvance djihadiste étaient clientes et cela indiquait un lien idéologique. Mais avant 2013 l’État islamique n’existait pas… Etant dynamiques, jeunes, on a apporté un renouveau dans le métier, on propose de nombreux produits à des prix défiant toute concurrence, donc on attire une clientèle large et variée.
Pour preuve : un éditeur français qui travaille avec les Emirats nous a sollicités parce qu’une princesse d’Abou Dhabi voulait éditer un livre pour enfants en France. Le consulat de France a demandé d’identifier la librairie la mieux référencée. Suite à ses recherches il est venu nous rencontrer. On l’a édité.
Vous avez l’impression que les services de police, les médias ou chercheurs qui parlent d’Al Bayyinah sont dans l’interprétation de ce que vous êtes et faites à partir de leur perception ?
Exactement !
A la fin du rendez-vous, le policier maghrébin m’a dit qu’il était désolé et suivait les ordres de l’État, qui était contre le communautarisme et les musulmans. Malgré notre discussion, ils ont convoqué des collègues et avancé que certains clients étaient dans la mouvance djihadiste. C’est le point de départ de la surveillance d’ailleurs.
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On trouve ici des livres vendus à la Fnac ou sur Amazon. D’après vous, ils trouveront toujours quelque chose à vous reprocher ? Vous voudriez être traité comme les patrons de ces enseignes, qui ne sont pas inquiétés ?
Nos livres ont tous un ISBN [Ndlr. Référence obligatoire pour vendre un livre] et sont tous référencés. On ne reproche pas à la Fnac ou Amazon de vendre ces livres, pourquoi on me le reproche à moi ?
On cible un musulman, on ne demande pas à la Fnac pourquoi elle vend Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon comme si c’était un problème parce que leurs avis sont opposés. On considère que ce sont des libraires qui vendent des livres à des adultes qui ont le droit de lire une pensée pour y adhérer ou la critiquer. Au nom de la liberté d’expression. Mais les policiers disent que cela leur permet de connaître notre doctrine…
Comment les services de police ont identifié qui sont vos clients à la boutique ? Une librairie physique (à la différence du site) n’a en principe pas de fichier clients par exemple, vous ne pouvez pas savoir qui sont vos clients, si ?
Non, on n’a pas de fichiers. Je ne sais pas qui est suspect à leurs yeux. Eux sont sûrement renseignés par la surveillance et les relevés bancaires.
Je leur ai proposé de dresser une liste de personnes pour me permettre de leur empêcher l’accès à ma librairie et en même temps, quelle loi m’autorise à refuser l’accès à un lieu public à quelqu’un ?
Ensuite, ils m’ont accusé d’avoir pour client une association en particulier, qui fournissait des livres à des personnes en prison. A cette époque, elle était autorisée par l’État, je ne peux pas avoir de doutes sur une association autorisée ! Ce n’est pas à moi de faire ce tri. Je leur ai demandé aussi pourquoi, parmi tous les clients très bien, ils ne se focalisent que sur ce type d’associations et personnes à qui ils nous associent.
Avez-vous également une association, des activités annexes ?
Non.
Tout cela fait peser sur vous une pression particulière ?
Ils m’ont expliqué le système de « la toile d’araignée » : les services regardent nos contacts et voient si on entre dans la toile ou non.
Avec ce système, quasiment tout le monde peut être en lien avec des personnes soupçonnées, Nicolas Sarkozy avait par exemple rencontré Amedy Coulibaly…
Exactement.
Aujourd’hui, vous pouvez toujours exercer et aucune mesure n’a été prise contre vous ou la librairie ?
Aucune.
A titre personnel, comment vivez-vous ça ?
Je vis sous pression constante. Ça affecte ma femme aussi.
Revenons-en à vos débuts : comment êtes-vous devenu libraire ?
J’étais commercial quand j’ai commencé à avoir des problèmes de santé. Je ne pouvais plus travailler comme avant. J’aime lire et faire découvrir des livres. Ça m’est venu un peu avant ma conversion et surtout depuis que je suis musulman.
Depuis quand existe Al Bayyinah ? Pourquoi vous être installé à Argenteuil ?
Un jour, je suis passé avec un ami devant la boutique, qui était disponible. On est devenu propriétaires du bail en 2008 avec deux associés et avons aussi lancé un site Internet.
La librairie se trouve juste à côté d’une mosquée et dans une ville où se trouve l’une des plus grandes mosquées d’Europe, c’est donc un emplacement stratégique ?
Oui. Dès les premiers jours, ça a bien marché. Des clients viennent également d’autres villes et même d’autres pays.
Vous vendez autre chose que des livres islamiques, de la sociologie, des livres politiques, d’Histoire, évidemment des auteurs non musulmans…
Oui. On vend des livres écrits par des penseurs, des religieux, des islamologues, des historiens, des orientalistes, tout ce qui peut répondre à la demande des clients. Cette diversité de choix est très importante pour moi pour développer l’ouverture d’esprit des lecteurs.
Vous avez aussi fondé une maison d’édition, nommée également Al Bayyinah. Comment choisissez-vous les livres ?
Au début, on était uniquement dans une démarche commerciale : on éditait ce qui était demandé, selon les tendances. Après les attentats, je me suis posé des questions sur la façon dont on présentait l’islam, j’ai pensé qu’il ne fallait pas rester dans des livres seulement dogmatiques, qui présentaient froidement l’islam, la jurisprudence…
Finalement, une personne non musulmane qui lirait ces livres ne comprendrait pas l’islam et une personne musulmane ne serait pas aidée à s’ouvrir, à découvrir sa religion de façon plus profonde. Le dogme doit être vivant avec la spiritualité et la spiritualité ne doit pas être dénuée de dogme et règles.
Alors nous avons publié une série sur l’importance d’une vision plus spirituelle de l’islam et des biographies de grandes figures musulmanes pour avoir des modèles à suivre.
Voulez-vous parler de votre conversion ?
Oui.
Vous définissez-vous ?
Je suis musulman. Ensuite tous les mots en -isme demandent à être définis. Pour moi, le salafisme à des dérives : le madkhalisme, avec ceux qui sont dans les mises en garde à outrance, considérant égarée l’ensemble de la communauté. Ce sont d’ailleurs eux qui ont attiré l’attention sur notre librairie. Et il y a ceux qui exagèrent certains concepts dogmatiques au point de rendre mécréants ceux qui n’adhèrent pas à leur vision.
Le salafisme m’a attiré quand je me suis converti. C’est ce qu’il y avait dans les mosquées, les livres et chez les prédicateurs, mais plus j’avançais dans la lecture, plus je me rendais compte du manque de nuance et de profondeur : l’islam est beaucoup plus large que cela. A l’origine, ce mouvement se veut réformiste, demandant à ses adeptes de suivre l’exemple des premiers musulmans. Il y a un immense fossé entre ça et la réalité.
Vous parlez bien de salafiyya ?
Oui. Pour moi c’est un mouvement devenu sectaire. Son point positif est d’insister sur le dogme, rappeler qu’il existe un seul Dieu unique, que l’on doit adorer sans associé, mais ce courant tel qu’il est aujourd’hui manque de spiritualité, de compréhension du contexte dans lequel on vit.
Quel a été le déclencheur de votre conversion ?
Petit, j’étais catholique. On vivait avec ma famille dans un presbytère. Mes parents s’occupaient de l’église, ma mère du catéchisme, c’est toujours le cas pour mon père. Un jour en lisant la Bible, dans un passage du livre de Jean, j’ai vu : « Ne soyez pas triste que je parte parce qu’il faut que je parte pour qu’il vienne. Et quand il viendra il ne parlera pas en son nom mais il dira ce qui lui est révélé ». J’ai buté sur ce passage et me suis dit « Ça annonce un prophète ». J’ai parlé avec mon père, ses explications ne collaient pas et ne me suffisaient pas. J’ai fait des recherches et j’ai vu que les musulmans disaient que cela désignait le Prophète Mohammed sala Allah wa alayhi wa salam [que le Salut et la Paix d’Allah soient sur lui]. Puis j’ai acheté des livres dans une librairie musulmane.
Quels livres ?
Pourquoi j’ai embrassé l’islam d’un prêtre, un autre sur les cinq piliers de l’islam et un voisin, qui n’était pas musulman, m’a offert le Coran qu’il avait chez lui. Chaque soir avant de dormir, je lisais un passage de la Bible et un passage du Coran. Plus j’avançais, plus le Coran me touchait. Et j’y voyais l’interdiction d’adorer autre que Dieu. Alors j’ai arrêté d’invoquer Jésus pour invoquer Dieu seulement et j’ai voulu faire le ramadan en disant à Dieu « Je vais faire ça pour toi, si l’islam est la vérité, montre-moi ». Au bout de quelques jours j’ai senti que c’était le cas. C’était en 2002, j’avais 19 ans et vivais dans une petite ville du Val d’Oise.
A cette période, vous ne côtoyiez pas de musulmans ?
Non. Au lycée, j’avais eu un ami, Mamadou, qui pratiquait l’islam. Je l’ai contacté et il a proposé de m’emmener à la mosquée proche de chez moi pour la conversion. J’ai commencé à la fréquenter. J’ai fini par le dire à mes parents. Ils ont construit leur vie autour de la foi catholique donc pour eux mon choix est difficile, comme ce serait difficile pour moi de voir mes enfants prendre un chemin opposé. Aujourd’hui ils m’ont compris et surtout, ils voient que l’islam apporte de bonnes choses, qu’il n’y a pas que de mauvais côtés. Ils s’entendent bien avec ma femme, qui est musulmane, et se réjouissent qu’au quotidien on éduque bien nos enfants.
Comment avez-vous étudié ce qui concerne l’islam ?
J’ai pris des cours. Mais je n’aime pas qu’on me dise comment penser.
Donc vous n’êtes affilié à aucune mosquée, association, groupe ?
Non et je peux me tromper. Mais je me serais trompé en ayant fait des recherches. Et je préfère lire plutôt qu’écouter quelqu’un, surtout si on veut m’imposer une voie.
Ce qui m’a fait réfléchir aussi c’est que si on est dans le tout religieux, il manque les connaissances sur le contexte, la sociologie, l’histoire, la compréhension de la foi des autres… Le musulman est celui qui arrive à être équilibré. Il essaie de suivre un juste milieu dans tous les préceptes de l’islam.
Vous avez publié cette année votre premier livre La place de l’islam en France. Le climat politique et médiatique, avec le projet de loi « séparatisme », fait partie des raisons qui vous ont mené à l’écrire ?
J’ai regardé l’interview d’un imam par Jean-Jacques Bourdin. Elle ressemblait limite à un tribunal d’inquisition. J’ai été énervé par ses réponses : il mélangeait deux concepts totalement différents, pour finir par affirmer que les lois de la République passent avant celles de l’islam. Pourquoi ne pas avoir expliqué les lois de l’islam, celles de la République et le danger de les mettre en concurrence ? Je me suis dit qu’avec les projets de lois, ce genre de questions allaient être toujours plus récurrentes, et que mal compris, le musulman serait soit taxé d’extrémiste soit rejeterait son patrimoine. Il y a forcément une voie intermédiaire, pour cela il faut comprendre l’enjeu du débat et les concepts.
Sur un coup de tête j’ai griffonné des réponses à des questions récurrentes, les ai fait lire à un ami, qui m’a recommandé d’ordonner le tout et d’ajouter des citations pour en faire un livre.
Il est sorti en mars 2020. SobhanAllah [Ndlr. Gloire à Dieu] en un mois, j’ai vendu les 1 000 exemplaires que nous avons édités, je ne m’y attendais pas ! J’ai alors publié la suite, qui détaille les questions de citoyenneté. Et un autre arrive.
L’idée était aussi de montrer que les relations entre la France et l’islam sont anciennes et que l’histoire qui nous lie est riche.
Cette connaissance mutuelle devrait permettre plus de cohésion mais on préfère parler de séparatisme, chercher des points de rupture et non de convergence…
Le séparatisme, comme le communautarisme, sont des concepts flous, qui servent souvent à priver de revendications légitimes une partie de la population au nom de cette accusation. Mais au-delà de ça, le séparatisme on le subit, on ne le crée pas. Les gens qui vivent dans les quartiers populaires ne l’ont pas choisi. Ce sont les élites qui mettent les mêmes populations dans les quartiers, c’est un séparatisme qui fait que les musulmans ou les immigrés vivent entre eux.
En tant que lecteur, vous avez un ou des livres préférés ?
Ceux de Malek Bennabi.
Malek Bennabi est un intellectuel algérien qui a produit des analyses critiques ; en tant que Français, vous vous retrouvez dans son approche ?
Oui, les musulmans d’aujourd’hui devraient absolument connaître les idées qu’il développe. Il parle de colonisabilité et les musulmans veulent être respectés et oublient qu’il faut qu’ils soient eux-mêmes respectables.
Qu’entendez-vous par « respectables » ?
Soit les musulmans sont loin de leur pratique et donnent une mauvaise image qui permet de leur taper dessus, soit ils sont obligés de baisser la tête et dire qu’ils pensent comme ceux qui s’adressent à eux. On peut ne pas partager le discours de Macron sans pour autant être un terroriste en puissance.
Les médias et politiques ont une ligne et leur avis relève plus de leur perception que des faits, les responsables du culte musulman ne restent pas en poste s’ils ne composent pas avec les autorités. Pensez-vous que les musulmans ont une marge de manœuvre ? Qu’ils puissent avoir autre chose qu’une « mauvaise image » ?
Oui, bien que la pression soit importante et le contexte pas simple. Il faut être intègre et plein de bonne volonté, on doit s’engager pour l’intérêt de tous et surtout mettre ses querelles d’ego de côté. Certains ont réussi à le faire à l’image du professeur Muhammad Hamidullah [Ndlr. Théologien musulman (1908-2002), docteur en philosophie notamment, qui a vécu en France], aimé de tous. Il a donné une image positive de l’islam, l’a enseigné à toute une génération et mis en place des activités afin d’organiser le culte musulman et dialoguer avec les non musulmans.
Ou l’Association des oulémas algériens qui ont pu s’organiser et s’unir malgré un contexte encore plus difficile que le nôtre [Ndlr. Fondée en Algérie sous colonisation française]. Il y a de l’espoir même si la situation est assez complexe et que nous sommes souvent dispersés.
On ne sent pas de fatalisme dans votre livre et votre démarche d’accès au savoir. Vous prônez plutôt la responsabilisation des musulmans ?
On a ceux qui pensent que tout le monde est perdu sauf eux, restent dans leur coin, contribuant à ce que l’image des musulmans déjà mauvaise le reste.
Ou les responsables de mosquée ou d’association musulmane qui sont des bénis oui-oui.
Vivre ensemble ne veut pas dire vivre pareil. Mon frère est catholique, je suis musulman, je mange avec lui et pour ça je n’ai pas besoin d’être catholique et il n’a pas besoin d’être musulman ! On partage d’autres choses. Dans la société c’est pareil.
C’est bien de vous deux dont parle l’article du journal La Croix « Thomas et Benoît, les convertis du 13 novembre » ?
Oui. Le journaliste connaît mon frère Benoît qui a fait le séminaire pour être prêtre, puis s’est finalement marié. Il est resté religieux. A l’occasion de l’anniversaire des attentats du Bataclan, il lui a proposé de nous consacrer un article pour montrer qu’il y a des possibilités de réconciliation et de dialogue. Mais Al Bayyinah n’est pas cité, mon nom et Argenteuil non plus. Je ne voulais parler que de moi, à titre personnel.
Je me suis converti à 19 ans, les relations ont été difficiles avec mes parents, avec qui je n’ai pas eu de contact pendant une dizaine d’années. La perquisition les a choqués : ils savent que je n’ai rien à voir avec ce dont on m’accuse. Elle a aussi permis de resserrer les liens. Quand le journaliste m’a contacté, je me suis dit que ce serait une bonne opportunité pour pousser plus loin la réconciliation avec eux et mes frères et sœur. L’article ouvre des portes pour le dialogue au sein d’une société où règne la méfiance.
Cela ne vous ennuie pas de devoir vous justifier ? Que les personnes identifiées (à tort ou à raison) comme musulmanes soient forcées de s’expliquer voire de montrer patte blanche sans que ce ne soit jamais suffisant ?
Si on reste dans notre coin, on nous accuse d’être radicalisés. Si on est avenant, c’est de la taqiyya !
C’est fatigant mais s’il faut en passer par les explications pour que les gens comprennent, je n’ai pas de problème avec ça. Au quotidien, j’invite les gens qui s’interrogent à lire. Ce n’est pas avec trois tweets qu’on connaît l’islam.
Avez-vous besoin d’une représentation ? Si oui, vous sentez-vous représenté ?
Non. On n’a pas de clergé en islam, chacun est ambassadeur de sa foi et doit faire des efforts. Par exemple, les responsables de la mosquée que je fréquente ont organisé en 2017 une journée « Portes ouvertes » mais rien prévu de spécial.
J’ai demandé pourquoi ils ne mettaient par exemple pas de pancartes expliquant l’islam, ce que l’islam pense de Jésus, de Marie, du voile, pour répondre à toutes les questions que les gens ont après avoir regardé les médias, sinon ça ne servirait à rien. Ils m’ont proposé de m’en occuper. J’ai accepté et les gens étaient étonnés : « Vous croyez en Jésus ?! » « Vous croyez que c’est un prophète ? » « Vous reconnaissez Marie ? » Ils pensaient aussi qu’Allah était comme Bouddha, un dieu qui n’a rien à voir avec Dieu.
Ils ont réellement découvert ça ?
Oui, j’étais surpris. Il y avait beaucoup de catholiques. Une femme lisait la pancarte consacrée à la place de la femme dans l’islam. Elle m’a dit « C’est beau ce qui est écrit, mais je sais que ce n’est pas vrai ». Je lui ai demandé pourquoi elle pensait ça, elle m’a répondu qu’on voyait bien ce que les femmes musulmanes subissent. Je lui ai parlé d’Henri Delassus, qu’elle ne connaissait pas, un théologien chrétien qui a écrit un livre dans lequel il explique que pour que la société soit saine, il faut que la famille soit équilibrée. Le musulman a exactement cette façon de voir les choses sauf que lui l’applique encore. Il n’y a finalement pas de grande différence.
Une autre m’a interrogé sur le voile. Je lui ai expliqué que selon la Bible, la femme doit se voiler face à un homme ou se raser la tête.
La discussion change quand on parle de la Bible à une personne chrétienne et qu’on lui montre que ce n’est pas forcément différent. Une dame est revenue et s’est convertie.
C’était votre objectif ou vous vouliez juste informer ?
Je veux avant tout informer avec une vision positive de l’islam.
Avant, j’étais dans mon monde, je vendais des bouquins et ne me posais pas réellement la question de ce que les autres pensaient. La perquisition m’a fait tilter : on en était à un point où on pouvait entrer chez les musulmans, tout leur faire, sans que personne ne réagisse… C’était donc à nous d’aller vers les autres parce qu’on a manqué quelque chose dans le dialogue. Que les gens se rendent compte que l’islam ce n’est pas ce qu’ils voient à la télé. Qu’ils comprennent notre foi. Ainsi ils respecteront une partie de la population et peut-être feront-ils contrepoids face aux décisions que le gouvernement veut prendre.
Quand je participe à des dialogues interreligieux, j’ai surtout l’intention de montrer que les musulmans peuvent être cultivés, avoir des convictions, ne sont pas des personnes qui massacrent les autres.
On ne peut pas rester dans l’entre-soi en permanence, sinon ils vont fabriquer des ennemis intérieurs et on sera forcément ces ennemis. Il faut discuter. A la mosquée on me demande de participer aux dialogues avec des juifs et des chrétiens. Les représentants des autres religions sont surpris de constater que sur de nombreux points, on pense comme eux. Dès qu’on parle avec les gens, ils voient les choses sous un autre angle.
Vous constatez donc un décalage ? Comment qualifiez-vous cela : méconnaissance, désinformation, autre ?
C’est de la méconnaissance. La société est telle que les gens doivent produire, travailler, ils n’ont pas forcément le temps et l’envie de s’informer et l’info qu’ils ont est tellement biaisée que d’office, ils pensent du mal de l’islam et des musulmans.
Comment réagissez-vous quand vous voyez les unes de presse ou émissions TV sur l’islam/les musulmans ?
Plus on parle de l’islam, plus des gens s’y intéressent. Même si ça génère un certains stress, la plupart de nos concitoyens ne sont pas dupes : ils ont des collègues musulmans, des voisins musulmans, à l’école des camarades musulmans. Le plus dangereux c’est que ces médias créent un problème et demandent aux politiques d’y répondre.
Que recommandez-vous à une personne qui vient à la librairie pour s’informer sur l’islam ?
Laura Veccia Vaglieri, une Italienne, a écrit en 1925 Clarification limpide de l’islam. Elle n’est pas musulmane. Je n’ai pas trouvé mieux, ce livre est très touchant dans la manière dont il est écrit. Elle aborde l’islam aussi bien spirituel que dogmatique.
Le second livre est Le guide du converti musulman. Le journaliste du JDD en parle en disant qu’on le lui a offert parce qu’il a montré de l’intérêt pour l’islam.
Vous l’offrez gratuitement ? Grâce à un financement dédié ?
Cela nous arrive. Non il n’est pas financé.
L’auteur, musulman, l’a pensé pour les Occidentaux. Il contient des images, des résumés et le style est excellent. Je le trouve tellement bien que je l’ai offert à mes parents.
C’est une très bonne manière de présenter l’islam, il parle des relations avec la famille, de la façon de vivre avec les autres, de l’esprit de l’islam. Le journaliste n’a rien trouvé à dire d’autre qu’il rabaissait la femme… Dans les 300 pages, il n’a retenu que quelques lignes.
Ces pages sont à la fin du livre. Le journaliste y a vu une petite fille voilée. L’islam est présenté comme élevant les femmes néanmoins des musulmanes dénoncent les comportements misogynes d’hommes musulmans. Mais comme des athées, chrétiennes ou #MeToo. C’est un problème de société plus que de religion ?
L’islam a libéré la femme il y a 14 siècles et c’était révolutionnaire. Même les orientalistes étaient élogieux. Mais aujourd’hui, certains ont des comportements absolument pas islamiques, c’est sûr qu’il y a un problème mais il n’est pas lié à l’islam, c’est un phénomène de société.
Selon des sondages abondamment cités « une majorité de musulmans fait passer la charia avant la loi de la République ». On pourrait interroger la méthodologie, l’idéologie : on constate que dans les faits, ce sont des Français qui reconnaissent la République et ses lois et font leurs propres choix. A votre avis, pourquoi les politiques et médias préfèrent voir un séparatisme plutôt que cela ?
Parce qu’ils n’en n’ont pas envie. Respecter les lois de la République ne veut pas dire être d’accord avec toutes les lois. Les catholiques manifestent contre la PMA (procréation médicalement assistée), on ne les accuse pas d’être contre la République. Pareil pour le droit de grève. On peut vivre en France sans être d’accord avec toutes les lois et sans être séparatiste.
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La République est un régime politique. Avant il y avait la monarchie, peut-être qu’il y aura un autre régime après ? De toute ma vie je n’ai jamais été amené à me poser la question de si je suis républicain ou non, je suis Français et j’ai toujours vécu en France sans difficulté. Ce chantage actuel pose un problème de plus. C’est un faux débat qui vise à disqualifier certains citoyens.
Les Français de confession musulmane sont perçus comme un contre-pouvoir politique sans pour autant se considérer ainsi ?
Le musulman n’est pas un contre-pouvoir et n’a pas de revendication politique particulière, il participe à la vie de la société comme tous les autres citoyens.
Il ne cherche pas le pouvoir, ni à imposer sa religion mais plutôt à s’accomplir spirituellement. Et l’histoire de l’humanité témoigne que les musulmans ont fait preuve de tolérance envers les autres religions, les juifs persécutés pendant l’Inquisition ont été accueillis en terre d’islam et protégés. L’Abbé Michon a même écrit dans Voyage religieux en Orient : « Il est triste pour les nations chrétiennes que la tolérance religieuse, qui est la grande loi de charité de peuple à peuple, leur ait été enseignée par les musulmans ».
Le réel problème c’est qu’en France, des gens ne veulent pas vivre dans le matérialisme à outrance. Avec le Covid on a vu qu’on pouvait laisser crever les personnes âgées parce qu’elles n’apporteraient rien à la société ! L’homme n’a de valeur pour cette société que par ce qu’il produit. Pour un croyant, cette vision de la vie n’est pas acceptable. Les médias et politiques ne veulent pas voir qu’en tant que musulmans, nous avons organisé des maraudes et distribué des paniers alimentaires dans la ville d’Argenteuil, sans distinction de religion bien sûr.
Pour vous, l’islam est attaqué parce qu’il prône des valeurs dont une partie de la société et des dirigeants politiques ne veulent plus ?
Exactement ! Durant la Révolution française, les révolutionnaires se sont attaqués aux catholiques, ont fermé les églises, imposé aux curés d’accepter la Constitution. Les réfractaires ont été exilés ou tués. Ensuite ils ont massacré les habitants de la Vendée car ils étaient trop catholiques.
Vous établissez un parallèle entre la Révolution et ce qu’il se passe contre les musulmans et l’islam ?
Oui. La Révolution c’est l’inversion des valeurs, on a mis la République à la place de la religion et il ne fallait pas qu’il reste des traces du catholicisme dans la société car c’était un contre-pouvoir.
Les révolutionnaires ont combattu Dieu puis avec la philosophie des Lumières, ils ont inventé une certaine morale pour remplacer une croyance religieuse alors ils voient d’un mauvais oeil des musulmans revenir avec une religiosité visible.
D’après vous, c’est politique ?
Pour moi le catholicisme a fait preuve d’intolérance envers les autres religions et philosophies quand il était au pouvoir et cette intolérance a laissé un goût amer et une espèce d’allergie à la religion. C’est pourquoi toute religiosité visible est remise en cause. Le chercheur Olivier Roy a déclaré dans La Croix « on n’en est pas à l’athéisme officiel, mais ce qui est en jeu c’est bien l’expulsion du religieux de tout l’espace public. »
Envisagez-vous de quitter la France ?
Non.
De vous engager en politique ?
Non. Il faut faire trop de compromissions.
Ce quartier d’Argenteuil où se trouve votre librairie est dans un état de délabrement avancé. La question brandie de « l’islamisation » ne vise-t-elle pas à faire oublier la précarité et la gentrification ?
Je pense qu’Argenteuil est visée car il y a une volonté de changer l’image de la ville qui fait partie du projet « grand Paris » visant à repousser un peu plus loin les habitants des quartiers populaires pour les remplacer par certaines populations plus bourgeoises venant de la capitale. Et parce que le numéro 3 aux élections est Omar Slaouti, qui prend position sur les questions de violence policière et d’islamophobie par exemple.
Vous pourriez fermer définitivement la librairie ?
Le quartier va être détruit. Avec la façon dont on a été diabolisés, retrouver une boutique physique ne sera pas simple.
Vous avez une librairie, êtes dans une démarche intellectuelle, critique des pouvoirs politiques et médiatiques. Pensez-vous que c’est aussi pour ça que vous êtes visé ?
Peut-être. Mais la librairie est un simple commerce. En ce qui me concerne, je m’autorise à lire et penser et j’enjoins tout le monde à faire de même. En ajoutant à la lecture le dialogue et le débat d’idées le monde ira sûrement mieux.
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Illustration : Thomas Sibille. Droits réservés.