[Il a quelque chose de James Stewart] dans Mister Smith au Sénat. Même silhouette longue que l’acteur fétiche de Frank Capra. Même air tout à la fois droit et obstiné. Car de l’obstination, il lui en a fallu. Sébastien Nadot, député exclu de LREM, est celui par qui le scandale est arrivé. Le scandale moral, en attendant juridique, de la vente d’armes françaises à la coalition internationale qui depuis 2015 détruit systématiquement le Yémen, l’un des pays les plus vulnérables et pauvres au monde. Au risque d’une des pires crises humanitaires, dixit l’ONU. Au risque de la cohérence d’une diplomatie française prise dans les rets de ses alliances douteuses. Et surtout au risque d’une complicité de crimes de guerre. Pour [Ehko], le député revient sur son parcours, le cheminement qui l’a amené à questionner ce qui relève du saint des saints « secret défense », l’industrie française de l’armement.
Comment passe-t-on de professeur dans un collège près de Toulouse à député frondeur qui a porté la question des ventes d’armes françaises à l’Assemblée nationale ?
Par un enchaînement logique qui part de ma réflexion sur ce qu’est le rôle d’un député. Je n’ai pas un parcours politique classique. J’ai été élu dans la majorité, mais je venais d’un petit mouvement, le Mouvement des Progressistes. J’étais comme une pièce rapportée à LREM. Entre le premier et second tour de mon élection, sachant que tout indiquait que j’allais être élu, j’ai réfléchi à ce rôle de représentant de la nation. J’ai essayé de saisir à quoi pouvait servir un député et comment être utile. Un député participe à l’élaboration de la loi. Mais on oublie qu’il doit aussi évaluer les politiques publiques et contrôler l’action du gouvernement. Moi-même je l’ignorais avant de m’intéresser à ma future mission. J’avais décidé de prendre comme ligne de conduite de ne pas accomplir cette mission en fonction de calculs de carrière politiques, de prendre mes décisions sans y faire prévaloir les aspects personnels. Je représentais les autres et ne voulais pas tenir compte de mon avenir, de mes préjugés ou idées préconçues. Député de la nation, j’essaierais autant que possible de penser mon action pour les gens qui galèrent. Pour ceux qui ne sont pas en difficultés, d’autres députés pouvaient s’en occuper (sourire). Après mon élection, je me retrouve à la Commission des Affaires étrangères (CAE) par choix, motivé par la curiosité et la possibilité d’ouvrir mon parcours sur le monde. Je suis enseignant de formation mais je ne voulais pas aller à la Commission Education et Culture. Habituellement, il faut avoir déjà effectué au moins 3 mandats de député pour être accepté dans cette commission. Mais pour cette législature, le renouvellement a été si important que j’ai pu y accéder. Pendant 6 mois, j’ai été surtout observateur, sorte de stagiaire silencieux. J’ai essayé de comprendre son fonctionnement. Là, j’ai été frappé du fait qu’à cette commission, les députés n’ont pas de fonction de construction de la loi. La commission aborde traités et accords internationaux et ceux-ci, par définition, sont élaborés par les gouvernements et les députés y ont fort logiquement très peu de marge d’intervention. Le rôle du député dans cette commission est donc assez limité quant à l’élaboration législative de sa fonction. Je commence à m’interroger sur le contrôle de ces traités [Ndlr Traité de l’Organisation des Nations unies sur le commerce international des armements conventionnels dit TCA adopté le 2 avril 2013 et La position commune de l’Union européenne du 8 décembre 2008]. Je comprends vite que personne ne les contrôle, tant dans leur élaboration que leur application.
Qu’est-ce qui vous amène à vous intéresser au Yémen ?
Je suis contacté, en novembre 2017, par l’association ACAT qui souhaite me faire rencontrer deux Yéménites de passage à Paris. Ils veulent alerter sur la situation de leur pays, situation que j’ignorais. Mes collègues semblent aussi ignorants que moi. Je creuse la question. J’apprends que le Parlement européen a déjà voté deux résolutions appelant à suspendre les ventes d’armes de tous les pays de l’Union à l’Arabie saoudite. Ces résolutions avaient été largement adoptées. Mais rien ne se passe. Les ventes d’armes, les médias n’en parlent pas, à part une ligne ou deux, çà et là. Rien dans les médias non plus sur le Yémen. Je suis perplexe. Je finis par trouver d’autres sources d’informations sur ce pays. Je suis choqué par ce que j’apprends. Je songe que si mon mandat peut servir à quelque chose, ce sera sur ce sujet. Je comprends que des gens nous appellent au secours et que nous leur répondons en armant toute la région. Des cargaisons d’armes envoyées par la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. Comment peut-on concentrer sur ce petit pays et cette région du monde la majorité des ventes d’armes des principaux exportateurs mondiaux et européens ? Il est quasi impossible d’y apporter de l’aide pour la seule raison de cette concentration des armes. A l’inverse du discours sur les droits de l’Homme de la France. Or quand j’interroge les ministres, tous me disent qu’il faut attendre un règlement politique. Mais comment peut-il avoir lieu si on arme tous les protagonistes jusqu’aux dents ?
Vous vous intéressez alors aux ventes d’armes par la France à la coalition menée par l’Arabie saoudite et à laquelle participent les Emirats arabes unis (EAU) ?
Le domaine des ventes d’armes m’était totalement inconnu. J’ai tellement appris depuis que désormais je distingue les types de missiles… c’est horrible. Fin février 2018, les députés de la majorité de la commission des Affaires étrangères sont invités à l’Elysée pour le discours de politique étrangère du président. Je pose alors la question sur le Yémen et les armes françaises. Hésitations et temps de réflexion du président de la République. Puis réponse : « Je parle sous ton contrôle Jean-Yves [Le Drian, ministre des Affaires étrangères]. Cette situation au Yémen est dramatique. A ma connaissance, sur ce théâtre de guerre » il dit théâtre « il n’y a que des armes défensives ». Puis Emmanuel Macron passe à autre chose. Ma question semble l’avoir surpris et manifestement il est alors peu au courant de ce qui se passe sur le terrain. Mais je peux vous garantir qu’aujourd’hui, il connait la situation au Yémen. Je sens aussi, aux regards des conseillers élyséens que j’ai posé une question mal venue.
Je cherche à comprendre ce concept des armes défensives. J’ai fait une thèse en histoire médiévale et j’ai travaillé sur les armes des chevaliers. Une arme, par nature, n’est pas défensive. Une armure l’est… J’interroge un expert qui démonte cet argument d’armes défensives. J’arrive à obtenir des informations de premières mains de gens sur le terrain. J’étais prof dans un collège il y a deux ans. Je me retrouve donc à m’intéresser à des questions délicates, avec un côté Forrest Gump (sourire). Dès que j’aborde la question de la situation humanitaire au Yémen, je suis écouté et on me répond. Mais dès que j’en viens aux ventes d’armes, la chape de plomb s’abat.
Vous utilisez dans un premier temps les procédures parlementaires prévues pour tout député ?
Je cherche comment mettre le sujet sur la table du travail parlementaire. Je pose mes questions, selon mon rôle de contrôle de l’action de l’exécutif. D’abord à la présidente de la commission des Affaires étrangères, Marielle de Sarnez. Mais je me heurte vite à la logique du groupe parlementaire La République en marche. La responsable de notre groupe, la whip, me dit d’arrêter avec « mes petites lubies sur le Yémen » par exemple. Je demande à mon groupe de poser une question orale au gouvernement sur ce sujet. Mais comme ces questions passent obligatoirement par l’agrément du groupe, ma question est bloquée. Je décide alors de poser des questions écrites, pour lesquelles le groupe n’a pas à donner son aval. Mais le temps long des réponses ne correspond pas à l’urgence vitales des Yéménites. Je dépose alors un texte pour ouvrir une commission d’enquête sur le rôle de la France dans la guerre au Yémen. Le groupe LREM n’en veut pas, sur demande discrète du gouvernement. Je comprends par la pratique que le Parlement n’est qu’une petite main de l’exécutif. Cela pose d’ailleurs un réel problème institutionnel de séparation des pouvoirs et de contrôle en France. Les parlementaires de la commission Défense par exemple ne contrôlent rien et votent ce que les experts et le gouvernement leur disent de voter.
Vous êtes donc vite marginalisé ?
Je deviens le mouton noir mais cela est accessoire. J’ai pu utiliser certains des mécanismes parlementaires. La résolution que j’ai déposée pour ouvrir une commission d’enquête est toujours ouverte. Je ne l’ai pas retirée. Elle pèse et est présente comme une épée de Damoclès sur les actes du gouvernement. Cela a produit quelques mini-effets. Cette commission a été acceptée par environ 90 députés, de divers groupes. Au début 40 députés de LREM l’avaient acceptée, mais suite à des pressions environ 10 députés ont retiré leur soutien. Les choses finissent par bouger à la CAE. Un expert du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) vient nous présenter les différents modèles européens de contrôle des armes. Je comprends vite que la France est le mauvais élève de la classe, ce qu’il me confirme. Aucune avancée démocratique sur ce contrôle n’a été accomplie en France. Je me souviens que la whip de mon groupe s’est agacée lors de cette présentation qu’elle jugeait à charge. Claire Landais, présidente de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) vient présenter ce même jour le fonctionnement qui mène aux autorisations d’exportations d’armes mais surtout, elle vient essayer de calmer les esprits. Car les questions commencent vraiment à se poser à la commission, des députés de tous les groupes politiques finissent par parler du Yémen. J’observe que le sujet monte. Marielle de Sarnez, présidente de la commission, finit par annoncer l’ouverture d’une mission parlementaire. Or cette mission, si elle a bien été créée, porte sur la question des armes sans aborder celle des conflits où ces armes sont utilisées. Elle tourne donc à vide et hors sol. De mon côté, j’avais déposé des amendements à la réforme constitutionnelle pour que soit créé un office parlementaire conjoint Sénat et Assemblée nationale afin de contrôler ces ventes. Mais le 18 juillet 2018 éclate l’affaire Benalla. Tout est suspendu. Les députés LREM font front, rien ne doit plus dépasser. L’idée même de commission d’enquête est désormais vécue comme une agression contre eux.
Que faites-vous alors ?
Je continue à travailler sur le sujet et rencontre des parlementaires britanniques. Cela aboutit à la tenue d’une conférence interparlementaire à Paris avec des députés de Parlements nationaux d’une dizaine de pays européens. Je fais également venir des représentants yéménites de différents courants. Quelques députés LREM sont présents même si le groupe a fait savoir qu’il était préférable de ne pas y participer… La question des ventes d’armes y est abordée. Nous savons tous qu’il n’est pas possible de régler le conflit au Yémen sans cesser de l’alimenter par les ventes d’armes. C’est la seule solution. La deuxième conférence interparlementaire que j’organise à Édimbourg avec mes homologues britanniques se tient dans une douce euphorie : la justice britannique vient d’ordonner de suspendre les ventes d’armes vers l’Arabie saoudite. Mais la position du gouvernement français reste très différente et argumente qu’il est bien de vendre des armes à un pays car cela permet de faire de la diplomatie d’influence vis-à-vis de ces pays à qui on vend. Si ce raisonnement est vrai et qu’on veut vraiment la paix au Yémen, je dis alors « faisons-le », suspendons ces ventes d’armes. Car suspendre ces ventes, c’est aussi enlever la caution morale aux belligérants de la coalition. Les Etats-Unis, par tradition, voient les ventes d’armes comme un business comme un autre. Ils n’octroient pas de caution morale avec les armes vendues. Mais la France oui. Avec les armes, elle fournit aussi cette caution du pays des Lumières et un mandat pour faire ce que des pays comme l’Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis font. Si les ventes étaient suspendues, ce mandat le serait tout autant. Dire que si la France suspend ses ventes, d’autres vendront n’est pas un argument satisfaisant. Les armes que vend la France représentent plus qu’un simple matériel, c’est aussi une caution morale. Et que montre d’elle la France aujourd’hui avec ces ventes sinon que nous sommes un petit pays qui peut être acheté ? En perdant ce qui fait son histoire, son originalité, sa force et sa splendeur, elle disparait ainsi de la scène internationale. C’est un discours qu’on peut porter face à la seule raison financière or il faut avoir le courage de dépasser les mots pour les traduire concrètement.
Pour étayer cette position, il faut des faits…
Oui et je continue mes enquêtes. Je finis par avoir suffisamment d’éléments pour affirmer que la France, en matière de traités internationaux, ne respecte pas ses obligations. Parmi les documents, des photos satellites de chars Leclerc en action sur le terrain yéménite. Pas à la frontière, vraiment sur le terrain. J’ai mené mon activité de contrôle parlementaire, à la marge, mais j’ai obtenu des résultats. J’ai pu étayer que la France est dans l’illégalité du point de vue du droit international et qu’elle mène une politique néfaste du point de vue du droit humanitaire. Mon rôle comme député est alors d’en informer les Français pour qu’ils jugent. Mais comment faire puisque les voies parlementaires classiques me sont interdites ? Pas de possibilité de poser mes questions, pas de commission d’enquête, pas même de débat en commission des Affaires étrangères. Je sors alors ma banderole lors des questions au gouvernement [Ndlr. Au sein de l’Assemblée nationale, le député déploiera la banderole « La France tue au Yémen »]. Pour faire réagir et affirmer publiquement ce que je suis empêché de dire via les procédures parlementaires normales d’action de tout député. Cela a été l’ultime possibilité d’alerter au regard de tout ce que j’avais appris. Ce fut un mode opératoire par défaut. Et puis, je me heurtais aussi à un mur du silence dans les médias. Des journalistes rencontrés semblaient intéressés mais le sujet ne passait pas pour leur hiérarchie. La question est également celle de l’indépendance des médias par rapport à l’industrie d’armement et des agences de communication françaises dont certaines sont très largement rétribuées par l’Arabie saoudite pour adoucir son image de pays en transition. Mais l’affaire Khashoggi, crime d’Etat, sera un accélérateur de la mise en lumière médiatique du Yémen.
Florence Parly, ministre des Armées, a déclaré après la révélation d’un document de la direction du renseignement militaire (DRM) par le média-ONG Disclose : « A ma connaissance, ces armes ne sont pas utilisées de façon offensive dans cette guerre au Yémen et on ne peut donc pas de façon mécanique, en tout cas moi, je n’ai pas d’éléments de preuve permettant de dire cela, que des armes françaises sont à l’origine de victimes civiles au Yémen ». Puis Emmanuel Macron a déclaré « assumer » la vente d’armes françaises à l’Arabie saoudite, assurant avoir la « garantie » qu’elles « n’étaient pas utilisées contre des civils » au Yémen. Que pensez-vous de ces deux positions ?
Florence Parly, à « sa connaissance », comme elle dit, savait. Elle peut argumenter qu’en juin 2018, elle ne savait pas. Mais après ? La note de la DRM d’octobre 2018 évaluait l’action de la coalition internationale et détaille le rôle et l’utilisation des armements acquis par les protagonistes. Cette note souligne la contradiction entre les déclarations politiques françaises et la réalité sur le terrain. La ministre, plus embarrassée qu’autre chose, se débat dans son univers de mensonge. Sa position est difficile. Je respecte le fait qu’elle joue la raison d’Etat et le jeu de la solidarité gouvernementale. Mais cette position a atteint ses limites. Ce qu’elle dit n’est plus audible, encore moins acceptable. La France ne respecte pas les traités internationaux en matière de vente d’armes. C’est aussi simple que cela. Le peuple yéménite en fait les frais.
Le message d’Emmanuel Macron avec son « j’assume » est une façon de dire aux Français qu’il ne peut pas tout dire, mais qu’il faut lui faire confiance. Cela me pose problème. Ce secret défense, ce domaine gardé, n’est rien d’autre qu’une zone noire démocratique. C’est aussi une façon de dire qu’il faut faire marcher une industrie coûte que coûte et que c’est dans l’intérêt des Français. Or je crois que l’intérêt des Français dans le concert troublé des nations passe par l’affirmation de valeurs qui sont ancrées en nous, très fortement. Passer à la trappe ces valeurs pour alimenter le compte bancaire de quelques industriels n’est pas bon pour la France. En réalité, l’armement profite à peu. Certes c’est 150 000 emplois directs, mais cela doit être considéré au regard de l’argent public mis dans cette filière depuis les années 50. Cela se compte en milliards de francs et d’euros avant qu’un premier avion ait été vendu [Ndlr. Le Rafale]. Pourquoi ne pas mettre cet argent dans un autre domaine que l’armement ? Cela créerait aussi de l’emploi, peut-être au-delà de ces 150 000 emplois. Le problème est que ceux qui gagnent beaucoup d’argent avec ces ventes contrôlent la situation. Les conséquences ne leur posent aucun problème. Que leurs méfaits deviennent publics, que les noirs desseins qu’ils alimentent soient évidents, ils veulent toujours vendre plus. Au cas où, ils ont mis en place des réseaux de substitution. Car si demain Emmanuel Macron annonce la fin de ces ventes, des lieux de production hors du territoire français ont déjà été prévus. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne faut pas présenter l’Allemagne comme un pays trop vertueux. Certes, ce pays a retiré sa caution morale à la coalition et c’est à souligner. Mais pour les ventes d’armes, l’Allemagne continue à vendre et a organisé ses filières hors territoire allemand pour le faire. En Afrique du Sud par exemple, qui n’a pas les mêmes lois et restrictions. Ce pays est d’ailleurs devenu une nouvelle plateforme pour les Etats un peu empêtrés dans les affaires de ventes d’armes. D’autres pays relais existent. L’industrie d’armement est très bien structurée et s’adapte, avec un temps d’avance pour contourner tout problème politique ou moral qui se poserait.
Mais qui est responsable juridiquement ? Car assumer, est-ce assumer moralement ou légalement ?
La position d’Emmanuel Macron certes ne me convient pas, mais à la lecture de notre Constitution, ce n’est pas lui qui engage sa responsabilité. Nous n’avons pas retenu les leçons du passé, qu’il s’agisse de l’affaire du sang contaminé ou du génocide au Rwanda . J’observe qu’en France, en termes de responsabilités, tout est dilué. Pour les ventes d’armes, il faut une autorisation d’exportation délivrée par la CIEEMG. Mais elle est saisie sur délégation du Premier ministre. Mais vous avez raison. Juridiquement, que vaut une « délégation », où se situe la responsabilité ? Concrètement qui peut comparaître devant un tribunal ? Ma réponse est que seul le Premier ministre doit rendre des comptes, le président étant juridiquement « irresponsable » de ces questions. Au passage, en disant qu’il assume, Emmanuel Macron sort de cette irresponsabilité sinon juridique, du moins morale. Il n’était pas obligé de le faire et engage ainsi sa responsabilité aux yeux des Français.
Mais ce « j’assume » très gaullien d’Emmanuel Macron, n’est-il pas posé pour éteindre une petite panique avec cette publication de la note secret défense ?
Je dirais que la panique n’est pas petite mais très importante. Quand je déploie ma banderole, j’ai documenté tout ce qui sortira après. Déjà en sortant cette banderole, il y a eu un début de panique. Car qui prendra la charge de cela ? Le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères ou celle des Armées ? A choisir entre les trois, j’avais averti Florence Parly qu’elle pourrait être tenue pour responsable. Ma banderole déclenche dans les cabinets ministériels une guerre interne pour savoir qui va monter aux fronts. Je pose une nouvelle question écrite au Premier ministre, en tant que responsable des délégations à la CIEMMG et au regard du Traité sur le commerce des armes (TCA). Il déporte cette question vers la ministre des Armées qui sera désignée pour me répondre. Ils étaient déjà en train de se défausser les uns sur les autres du problème. Quand les révélations de Disclose sortent, la charge semble fatale car ce sont les propres services de renseignements qui disent la réalité. Emmanuel Macron ne pouvait qu’assumer, car personne ne voulait plus le faire. Je m’étonne qu’aucun ministre n’ait eu à ce moment-là le sens moral de démissionner…
En vendant des armes, la France ne brade-t-elle pas aussi l’indépendance de sa politique étrangère aux pays acheteurs ?
Bien sûr. On ne peut comprendre notre position dans cette partie du monde qu’au regard de notre relation avec les EAU. Beaucoup plus qu’avec l’Arabie saoudite. Cette dernière joue évidemment un sale rôle dans le conflit au Yémen, c’est évident. Mais dans la résolution du conflit, elle est beaucoup plus proche de la table des négociations que les EAU. Parfois je me demande où est notre ministre des Affaires étrangères. Il suffit de regarder le dernier passage de Mohammed Ben Zayed [Ndlr. Prince héritier et ministre de la Défense des EAU]. Les accords signés sont incroyables. Il y a des accords sur tous les domaines. Armes, nucléaire, éducation, culture, fonds financiers communs. C’est frappant. On vend de fait la marque « France ». C’est un problème majeur que de considérer que la France voit à ce point sa diplomatie influencée par d’autres. Cela se décèle sur la Libye. Comment la France peut-elle avoir soutenu quelqu’un comme le Maréchal Haftar ?
Allez-vous vous représenter ?
Je ne sais si je vais me représenter, car je suis passionné par tant d’autres choses. Je ne me suis pas présenté avec cette logique. Désormais, je siège à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Le réchauffement climatique est le sujet majeur des années qui viennent. Je me concentre sur cela. J’ignore si en abordant un dossier, je vais tomber sur des questions aussi sensibles que celles des ventes d’armes. Mais je me connais, je risque encore de creuser les sujets (sourire).
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Illustration : Intervention de Sébastien Nadot au cours de la Commission des Affaires Etrangères. Crédit: AnneClaireL31